Dans les édicules, on s’en…
(J’ai terminé ma série d’urinoirs, ce qui soulagera ceux qui commençaient de s’en fatiguer.)
(J’ai terminé ma série d’urinoirs, ce qui soulagera ceux qui commençaient de s’en fatiguer.)
L’aristocrate Eugène de Germiny (1841-1898) était une figure de la droite catholique française, administrateur de l’Université catholique de Paris, membre du Conseil municipal de Paris, membre du conseil général de la Seine, antirépublicain, défenseur de l’ordre moral, de la propriété, de la famille et de la religion.
Le 6 décembre 1876, il est arrêté vers 23 heures par la police des mœurs dans une vespasienne des Champs-Élysées, à proximité du Café des Ambassadeurs (actuel Espace Pierre Cardin), en compagnie d’un jeune homme de 18 ans, Edmond-Pierre Chouard, apprenti en bijouterie.
Le 30 décembre 1876, la 8e chambre du tribunal correctionnel condamne de Germiny à deux mois de prison et 200 francs d’amende, sa carrière politique est brisée net. Il finira sa vie à Buenos Aires où il s’est exilé.
La presse de l’époque couvrira en abondance le procès, non pas tant pour le caractère homosexuel de l’affaire, mais en raison de l’importance sociale de l’un des deux accusés, qui plus est, un catholique défenseur de l’ordre moral. Les articles entretiennent souvent l’image typique du XIXe siècle de l’aristocrate pédéraste, prédateur à la recherche de jeunes prolétaires à dévoyer.
La mésaventure du comte de Germiny fera les bonheurs de Gustave Flaubert :
Quelle histoire que celle du sieur de Germiny arrêté comme boulgre ! Voilà de ces anecdotes qui consolent et aident à supporter l’existence.
[Lettre à Tourgueneff, 14 décembre 1876.]
Germiny continue à me plonger dans une immense joie. N’éprouvez-vous pas toutes les délices de la vengeance quand il survient de pareilles histoires à un môssieur officiel ? Les rayons de la gloire céleste se mêlant aux plis de l’anus, la toge du tribunal par-dessus les latrines. Et le bijoutier, quel joyau ! Et les grincements de dents dans les sacristies. Voilà un sujet de pièce. Faisons-la. Comme étant notre Ancien, il faut que vous l’imposiez à Guy. Je la sens.
[Lettre à Tourgueneff, 24 décembre 1876.]
J’ai réellement souffert pendant ces derniers temps de n’avoir personne à qui parler de l’affaire Germiny ! Pauvre bougre, il finit par m’attendrir ! Et je trouve que la France lui doit une récompense nationale. Car enfin il l’amuse, et tout amuseur est un bienfaiteur. La branlade d’un monsieur dans une pissotière a occupé la capitale du monde civilisé pendant quinze jours ! Les plus belles œuvres d’art, les plus grandes découvertes scientifiques n’ont pas causé tant d’émotion quand elles ont paru ! C’est beau ! Ainsi la décharge de ce bourgeois enfonce la question d’Orient. La manustupration avec le bijoutier (une perle) a plus d’ampleur que la conférence des diplomates à Constantinople. La peau de ses couilles coiffe tous les Français ! Nous nous égarons dans ses poils. Nous sommes asphyxiés par son urine !
Que faire pour rivaliser avec ce bougre-là ? On ne me recevrait pas dans une université catholique. Et voilà longtemps que déjà je me rate. Quelle élégie « Au murmure de l’onde arrosant les ardoises… »
[Lettre à Edmond de Goncourt, 31 décembre 1876.]
Flaubert utilise même le néologisme alors à la mode, le “germinisme” :
Re-scandales ! le fils Boucicaut du Bon Marché est en prison pour actes de germinisme…
[Lettre à Madame Brainne, 15 mars 1877.]
Le dictionnaire d’argot de Charles Virmaître (1894) donne même un verbe :
GERMINYSER : Membre d’un cercle catholique qui cherche à pénétrer dans un centre ouvrier. La condamnation qui frappa un personnage célèbre reconnu coupable d’un délit, qui n’était assurément qu’un acte de folie érotique a donné naissance à cette expression devenue populaire (Argot du peuple).
Dans la presse, on évoque l’affaire même dans les colonnes théâtrales :
Encore le même soir, première représentation au théâtre des Folies-Marigny, de la revue les Cris-Cris de Paris, par MM. Eugène Grangé, Bernard et Maurice Ordonneau. Beaucoup d’esprit, des scènes d’un haut comique, de jolies femmes et de gais compères, en voilà plus qu’il n’en faut pour assurer un long succès au petit théâtre des Champs-Élysées. La pièce est bien montée, mais pourquoi diable avoir ressuscité le nom maudit de cet abominable instrument de torture ?
Pendant les entractes on se montre le fameux urinoir où le vice-président des universités catholiques, de Germiny, se livrait à des études spéciales que la huitième chambre correctionnelle vient de récompenser de deux mois de prison.
[Journal pour tous, 5 janvier 1877.]
—
Compte-rendu d’audience dans le Petit Journal, sa longueur est à la mesure de l’importance accordée à l’affaire :
AFFAIRE DE GERMINY
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE LA SEINE
PRÉSIDENCE DE M. AUZOUY
Audience du 23 décembre [1876]
Les accusés sont au nombre de deux. L’un est détenu. Il déclare s’appeler Pierre Chouard, être âgé de dix-huit ans et reconnaît avoir subi une condamnation à l’emprisonnement pour vagabondage. L’autre est en liberté. Il déclare s’appeler Charles-Eugène Lobègue de Germiny, être âgé de trente-cinq ans, exercer la profession d’avocat et faire partie du conseil municipal de Paris.
M. Pierre Chouard est entouré de trois gardes de Paris. Au banc de la défense siègent Me Allou et Me Bourdillon. Devant eux est assis M. de Germiny. C’est par ce dernier que commence l’interrogatoire.
M. le président. — Le 6 décembre, à onze heures et demie du soir, vous avez été arrêté aux Champs-Élysées dans l’accomplissement d’un fait d’outrage aux mœurs. Des agents vous ont trouvé vous livrant à des actes obscènes, ils vous ont arrêté ; vous vous êtes rébellionné et c’est l’arrivée d’un gardien de la paix qui a mis fin à votre résistance.
L’accusé. — Monsieur le président, j’ai été imprudent, mais je ne suis pas coupable. Je faisais une promenade dans les Champs-Élysées. J’avais dîné avec ma femme chez mon beau-père, avenue d’Antin. Je descendais rejoindre l’avenue Gabriel, par laquelle je comptais regagner mon domicile, situé au coin de la rue Boissy-d’Anglas.
Chemin faisant, l’idée me vint de me livrer à une sorte d’enquête à propos des agissements de certains habitués de ces parages, dont l’indécence révolte les habitants du quartier.
La question de la police des mœurs avait précisément été agitée dans l’assemblée publique à laquelle j’appartiens. Je voulus faire une étude de mœurs. J’entrai dans l’urinoir où se trouvait mon co-inculpé ici présent. Mon action était hardie, mais innocente. D’autres personnes vinrent ; elles avaient des allures suspectes. Je m’étais placé dans la case la plus éloignée, pour mieux observer.
Je suis sorti de l’urinoir et j’y suis rentré, je le reconnais, mais toujours dans la même intention, intention avouable et non honteuse !
Quatre hommes sont venus, se sont jetés sur moi. Pouvais-je deviner que ces hommes étaient des agents ? Ils ne portaient aucun insigne. Je me défendis, croyant à une surprise, à un guet-apens. Quand je vis s’approcher un gardien en costume, ma résistance cessa.
M. le président. — Mais vous savez que les agents ne relatent pas les faits de la même façon que vous. Ils déclarent que vous erriez avec l’intention évidente d’entrer en rapports avec un de ces individus dont vous parlez. À six reprises, vous auriez fait invasion dans les urinoirs. Quand vous avez été pris avec Chouard, vous vous livriez l’un sur l’autre à des attouchements obscènes. C’était dans un endroit où se passent fréquemment des faits immoraux de la même nature. Vous étiez placé dans un compartiment voisin de celui occupé par votre co-prévenu.
L’accusé. — Je ne puis discuter et je ne dois pas entrer dans le détail des faits. Je suis assisté ici par un ne mes plus honorables confrères ; c’est à lui qu’appartiennent l’examen et la discussion des divers points.
Le Tribunal me permettra seulement de lui dire que si je suis entré six fois dans les urinoirs et si j’ai commis les actes qu’on me reproche, je suis bien étonné qu’on ne m’ait pas arrêté dès la première fois.
M. le président. — Vous savez cependant ce qui s’est passé chez le commissaire de police. Là, Chouard a raconté que vous aviez attiré son attention d’abord en élevant la main à la hauteur de votre poitrine et que vous l’aviez touché.
L’accusé. — Monsieur le président, je n’ai eu aucun rapport avec le co-prévenu. Écoutez, monsieur le président, je n’ai qu’une chose à dire, quant à moi, c’est que mon grand tort est de m’être livré à des investigations personnelles.
M. le président. — Mais Chouard a dit que vous l’aviez provoqué ; et même, vous avez passé la main dans la case qu’il occupait.
L’accusé. — Il n’est point vrai, monsieur.
M. le président. — Malheureusement, il y a un document qui s’élève contre vous bien haut : c’est le procès-verbal du commissaire. Ce procès-verbal, vous l’avez signé.
Le commissaire de police vous sommant de vous expliquer : « Oui — répondez-vous — j’ai pu regarder la nudité d’un autre et faire voir la mienne ; toute dénégation serait inutile. Je ne veux pas recourir à des dénégations indignes de moi. J’ai des torts graves, mais il ne faudrait pas les aggraver encore. » Ainsi, il y a eu là de votre part tout au moins un aveu partiel.
L’accusé. — Je me suis servi peut-être de termes que je n’ai pas pesés, monsieur le président ; j’avais passé la nuit au poste, en proie à l’affolement, pensant aux miens, à ceux que j’aime, aux causes à la défense desquelles je me suis voué. J’étais sous le coup d’une émotion profonde ; dans cet état d’abattement, j’ai signé le procès-verbal tel qu’on me l’a présenté.
M. le président. — Le tribunal appréciera.
Le prévenu est pâle, mais calme ; un léger tremblement des mains indique seul son émotion. Encore, ses mains sont-elles rarement visibles ; la gauche est le plus souvent enfoncée dans la poche d’un ample pardessus noir fermé jusqu’au collet ; la droite disparaît sous l’étoffe et se crispe sur la poitrine, entre deux boutons.
L’attitude de l’autre prévenu est différente. Celui-ci a un visage souriant, une tenue débraillée. Sa veste de drap s’ouvre sur une chemise blanche, sans cravate et sans gilet. — Chouard se lève, à l’appel de M. le président.
M. le président. — Vous avez été arrêté en même temps que M. de Germiny dans l’urinoir où vous étiez entré quatre ou cinq fois déjà au cours de la soirée ?
L’accusé. — Deux fois seulement.
M. le président. — Les agents affirment le contraire.
L’accusé. — C’est des menteurs !
M. le président. — Dans l’intervalle entre deux entrées, vous êtes allé vous asseoir sur un banc ?
L’accusé. — Je ne dis pas non, monsieur.
M. le président. — Le comte de Germiny était sorti de l’urinoir en même temps que vous. Vous alliez sur ce banc parce que vous aviez remarqué qu’il vous suivait. Vous attendiez là qu’il vînt vous parler.
L’accusé. — Mais, monsieur…
M. le président. — Vous l’avez déclaré dans l’instruction. II est certain, en outre, que M. de Germiny s’est approché du banc.
L’accusé. — Il m’a regardé, mais sans provocation.
M. le président. — Ensuite, que s’est-il passé ?
L’accusé. — Ensuite ?
M. le président. — Oui, vous êtes retournés à l’urinoir ; vous y êtes entrés. Il y a eu là une scène d’obscénité.
L’accusé. — Nous n’étions pas à côté l’un de l’autre.
M. le président. — D’abord ; mais vous vous êtes rapprochés ensuite, et, d’ailleurs, devant le commissaire de police, il a bien fallu que vous reconnaissiez une partie des faits. Il est vrai que dans l’instruction vous avez repris ce que vous aviez admis. Nous allons entendre les témoins.
1er TÉMOIN : AUBRY, inspecteur des mœurs, attaché à la préfecture de police. — Le 6 décembre dernier, entre dix heures et demie et onze heures du soir, étant en surveillance dans les contre-allées des Champs-Élysées, j’ai dû me préoccuper des allures d’un personnage dont j’ignorais alors le nom et la situation, et que j’ai su plus tard être M. le comte de Germiny. Il allait, il venait, pénétrant dans les urinoires, en sortant, y retournant, regardant autour de lui. Il échangea des signes avec un autre individu, le nommé Chouard, qui alla s’asseoir sur un banc. Chouard semblait attendre. Germiny s’avança vers le banc et s’y assit. Puis tous deux se dirigèrent vers un des abris disposés pour les besoins des passants. Là, un rapprochement s’opéra entre eux. C’est alors que mes collègues et moi nous procédâmes à la double arrestation.
2e TÉMOIN : POLLET, inspecteur au service des mœurs. — J’étais aux Champs-Élysées le 6 décembre au soir. Trois de mes collègues me signalèrent un homme qu’ils observaient et que j’observai à mon tour. Nous nous dissimulâmes dans un massif. Nous vîmes distinctement les allées et venues de MM. de Germiny et Chouard. Ce dernier était entré cinq fois dans un urinoir. L’autre y entrait pour la sixième fois quand nous parûmes. La situation physique des deux individus ne laissait pas la plus petite place au doute. Nous nous élançâmes sur eux ; Chouard fut capturé sans effort mais de Germiny opposa une énergique résistance. Il criait, appelait à l’aide, se débattait, lançait des coups de poing et des coups de pied dont l’un atteignit l’un de nous au bas-ventre.
M. le président. — Cette résistance n’a-t-elle pas cessé à l’arrivée d’un agent en uniforme ?
Le témoin. — Oui, monsieur. Nous emmenâmes le prisonnier au poste du Palais de l’industrie, où l’autre était déjà arrivé. Ils passèrent la nuit au violon.
M. BONNET, avocat de la République. — Le prévenu de Germiny n’a-t-il pas fait des excuses à l’arrivée au poste ?
Le témoin. — Oui, il a dit qu’il suppliait qu’on transmît de ses nouvelles à sa famille ; il a ajouté que s’il avait donné des coups de pied, il s’en excusait.
3e TÉMOIN : JEAN VASSET, inspecteur de la police des mœurs. — Dans la soirée du 6 décembre, plusieurs de mes collègues et moi étant embusqués dans un massif des Champs-Élysées, ou aux abords de ce massif, près du café des Ambassadeurs, nous avons remarqué les allées et venues constantes et nombreuses du sieur de Germiny et du jeune Chouard. Les deux prévenus, après être à deux reprises entrés dans l’urinoir des Ambassadeurs, se sont réunis en s’adressant mutuellement des sourires. M. de Germiny a imprimé à M. Chouard une secousse qui a fait celui-ci se retourner, et alors ils ont pratiqué l’un sur l’autre des familiarités choquantes, au cours desquelles nous les avons surpris.
Chouard — Tout ça c’est des mensonges.
Le témoin. — Monsieur le président, nous ne pouvions pas hésiter. Les deux complices étaient dans un état qui les condamnait l’un et l’autre.
M. le président. — Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour les arrêter ?
Le témoin. — Parce que nous préférions arrêter sur des preuves flagrantes, qui nous livrent en même temps deux coupables.
De Germiny. — Si j’avais été coupable, je ne serais pas ici, j’aurais fui, je me serais caché, je me serais fait oublier.
Le principal inculpé ne nie cependant pas cette parole, prononcée par lui lors de non premier interrogatoire :
— Ah si vous saviez ce qui s’écroule en ce moment.
Un quatrième inspecteur de police, M. Briant, relate les faits tels que les ont exposés ses prédécesseurs à la barre.
Me Allou demande au témoin si c’est lui qui a envoyé à un journal une note dénonçant le comte de Germiny.
Réponse catégorique :
— Je n’ai parlé de l’affaire qu’à mon chef immédiat.
5e TÉMOIN : HUGOT, sous-brigadier de gardiens de la paix. — J’ai été attiré par des cris et des trépignements à l’endroit où avait lieu l’arrestation de M. de Germiny. À mon approche, la lutte a cessé. Les inspecteurs des mœurs ont pu emmener leur prisonnier.
6° TÉMOIN. LAVILLE FRANÇOIS, sous-brigadier de gardiens de la paix. — Il était onze heures trente-cinq du soir, je prenais mon service de nuit, lorsqu’a eu lieu l’arrestation des nommés Chouard et de Germiny. Le premier était déjà arrivé au poste, et commençait à subir un interrogatoire quand a été amené le second.
M. le président. — Ont-ils communiqué entre eux ?
Le témoin. — Non.
M. le président. — M. de Germiny a-t-il pu, de la cellule dans laquelle on l’a enfermé, entendre ce que disait Chouard ?
Le témoin. — C’est fort possible, monsieur le président.
7e TÉMOIN. ROUXIN, gardien de la paix. — J’étais de service au poste quand on a amené les accusés. Le petit s’était livré sans résistance. L’autre avait beaucoup regimbé. Mais au poste, il dit qu’il le regrettait, qu’il avait cru à une surprise et qu’il se méfiait des faux agents depuis l’affaire de Mlle Rousseil.
Il est un peu plus de midi. Il reste à entendre une dernière déposition celle de M. Baud, commissaire de police du quartier des Champs-Élysées. Mais, par suite d’un malentendu, M. Baud est absent de l’audience. On va le quérir chez lui, sur l’ordre du président.
La suspension d’audience se prolonge jusqu’à deux heures, tantôt silencieuse, tantôt pleine de tumulte. Au-dehors, une foule houleuse bat les portes de la salle, en dépit du service d’ordre organisé sur des bases exceptionnelles. M. Larousse, l’obligeant secrétaire du parquet, est assailli de demandes, de visites, de billets de sollicitation. Les nombreux avocats qui peuplent l’enceinte judiciaire discutent la cause entre eux, se rappelant l’époque récente où la parole du membre du barreau aujourd’hui accusé retentissait dans une chambre voisine, pour soutenir les Pères Jésuites desquels il fut l’élève.
Le commissaire de police est enfin annoncé. Le motif de son retard expliqué ; il donne au tribunal les détails de l’interrogatoire subi dans son cabinet par les prévenus le lendemain de l’événement, à dix heures du matin.
Il poursuit :
— L’aveu énoncé par M. de Germiny fut consigné au procès-verbal dans les termes mêmes qu’on y lit. Je suis resté en deçà plutôt que je ne suis allé au-delà de la réalité.
Quand il s’est agi de faire signer le procès-verbal à M. de Germiny, comprenant que je n’étais pas en présence d’une affaire ordinaire, j’ai dit au prévenu : « Lisez et relisez ce document ; si vous trouvez quelque chose à y ajouter, si vous trouvez quelque chose à y retrancher, si vous trouvez quelque chose à y modifier, modifiez, retranchez, ajoutez ; je vous en donne tout le temps. »
M. de Germiny a pris lecture du procès-verbal, et, après un moment de réflexion, l’a signé en prononçant ces mots : « Je n’ai rien à y redire. »
M. le président. — Ainsi, M. de Germiny a bien dit ceci : « J’ai regardé d’autres nudités, j’ai montré la mienne ; je ne veux pas recourir à des dénégations indignes de moi. » Vous en êtes certain ?
Le témoin. — Absolument. Je l’ai répété deux fois dans le cabinet de M. le juge d’instruction où j’ai comparu et où on m’a questionné de toutes les façons.
L’accusé proteste par gestes et par paroles. M. Baud se borne à adresser au tribunal un dernier signe affirmatif, puis se retire.
La parole est donnée à M. le substitut Bonnet, dont le réquisitoire attristé et digne se termine par une déclaration formelle de culpabilité et la demande de l’application de l’article 330 du code pénal qui vise l’outrage public à la pudeur.
Me Allou prononce ensuite une plaidoirie brillante et émue. Il demande l’acquittement de son client, les faits, affirme-t-il, n’étant pas suffisamment démontrés.
Me Bourdillon ajoute quelques paroles en faveur de Chouard, dont la famille, dit l’avocat, est honnête, et dont les mœurs jusqu’ici n’ont rien laissé à désirer.
Le tribunal renvoie à huitaine le prononcé de son jugement.
C’est donc samedi prochain, 30, que nous connaîtrons ce résultat.
[Le Petit Journal, 25 décembre 1876.]
Si Chouard est présenté par Le Petit Journal comme un jeune homme souriant et débraillé, La Presse en offre cette méchante description : “C’est un de ces gamins parisiens à la figure efféminée sur laquelle l’effronterie a collé son masque grimaçant.”
La décision de justice tombe le 30 décembre :
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE PARIS (8e ch.)
Audience du 30 décembre
AFFAIRE GERMINY
Hier, la 8e chambre a rendu son jugement dans cette affaire, dont nous avons publié les débats dans notre numéro du 25 dernier.
À onze heures, on introduit Chouard, qui s’assied, entre deux gardes, au banc des prévenus.
M. le comte de Germiny ne répond pas à l’appel de son nom.
M. le président donne lecture du jugement suivant :
Attendu qu’il résulte de l’instruction et des débats la preuve que le 6 décembre 1876, vers onze heures du soir, dans un urinoir public des Champs-Élysées, à Paris, Germiny et Chouard ont, à plusieurs reprises et devant diverses personnes, volontairement… (Nous n’achevons pas le considérant par respect pour nos lecteurs.)
Que de Germiny allègue en vain, pour atténuer sa faute, qu’un sentiment de blâmable curiosité l’avait poussé à observer par lui-même certains actes de honteuse débauche dont l’opinion publique s’était récemment émue; Que cet entraînement ne saurait excuser le délit ci-dessus qualifié ;
Sur la prévention de rébellion contre de Germiny :
Attendu qu’il résulte également de l’instruction et des débats que, le même jour et au même lieu, de Germiny a résisté avec violence et voies de fait à des agents de police administrative agissant pour l’exécution des lois;
Que les explications mêmes fournies par lui sur les causes de sa présence aux Champs-Élysées ne permettent pas d’admettre, ainsi qu’il le prétend, qu’il a ignoré le caractère des agents qui l’arrêtaient, et qui d’ailleurs lui avaient aussitôt déclaré leur caractère d’inspecteurs ;
Qu’ainsi, il est judiciairement établi que de Germiny et Chouard se sont rendus coupables du délit prévu par l’article 230 du Code pénal, que de Germiny a commis en outre le délit prévu par les articles 209 et 212 du Code pénal;
Faisant application aux prévenus desdits articles et de l’article 463 du Code d’instruction criminelle, avec admission de circonstances atténuantes, condamne de Germiny à deux mois d’emprisonnement et 200 fr. d’amende, Chouard à quinze jours d’emprisonnement, et tous deux solidairement aux dépens.
[La Presse, 1er janvier 1877.]
“me livrer à une sorte d’enquête” ” Je m’étais placé dans la case la plus éloignée, pour mieux observer.”
C’était donc un sociologue, en pleine observation non participante. Ah si, participante, finalement. Presque un siècle avant Laud Humphreys. Un précurseur.
Il faut croire que la justice de l’époque avait peu de considération pour les avancées de la sociologie.
Une pensée pour l’église catholique.
manustupration, germinisme, que de mots nouveaux (enfin nouveaux, je me comprends). Ça rigolait pas en ce temps là. L’argument sociologique de la défense vaut son pesant d’or.
le président utilise le mot “rébellionné”. Quelle est la différence avec “rebellé” ?
3e paragraphe : il faut écrire ” le tribunal condamne Germiny”. La particule ne se place que derrière le prénom ou le titre (Monsieur, le sieur, le baron…), sauf si le nom commence par une voyelle (d’Arsonval) ou ne fait qu’une syllabe (de Gaulle).
Flaubert et le tribunal de Paris te donnent l’exemple dans les extraits que tu cites :
Germiny continue à me plonger dans une immense joie.
et
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE PARIS (8e ch.)
Audience du 30 décembre
AFFAIRE GERMINY
L’usage était flottant à l’époque, pour preuve “le vice-président des universités catholiques, de Germiny, se livrait à des études spéciales” cité plus haut. Et les journaux du moment : “affaire de Germiny”.
karl, La Grange
As-tu essayé d’en faire un livre en POD vendu sur lulu, ou blurb ou amazon ? Peut-être qu’il y aura des preneurs. Et à chaque fois que tu finis une série, tu mets le livre en disponible. Au début, cela ne devrait pas rapporter grand chose, à peine de quoi payer un café, mais au fur et à mesure des séries il y a probablement du potentiel.
TDM
Dommage, c’est sympa les urinoirs :)
J’en profite au passage pour te remercier pour ce superbe site, il m’aide à commencer la journée, avec mon bol de céréales :)
Blah ? Touitter !