Journal de bord

vendredi 22 mai 2015

De l’originalité de Jimi

Jimi Hendrix

Jimi Hendrix en 1967 par Gered Mankowitz.

Surprenante décision de justice en France, relative à l’originalité mal défendue d’une photographie :

Dans ce cadre, la CJUE, dans son arrêt du 1er décembre 2010 C145/10 Eva Maria P. c/Standard Verlags GmbH, énonce pour des photographies réalistes qu’il « résulte du dix-septième considérant de la directive n° 93/98, qu’une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci », que « tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » et que, « s’agissant d’une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l’auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation ». Elle précise ainsi qu’« au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage », que « lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée » et qu’« enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels ». Elle en déduit qu’« à travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa “touche personnelle” à l’œuvre créée ».

L’œuvre dont l’originalité est revendiquée est une photographie en noir et blanc en plan taille de face de Jimi Hendrix expirant avec un demi-sourire et les yeux mi-clos une bouffée de la cigarette qu’il tient dans sa main gauche, sa main droite soutenant son bras gauche au niveau de son coude.

Monsieur G. M. explicite en ces termes les caractéristiques originales de la photographie qu’il revendique : « cette photographie aussi extraordinaire que rare de Jimi Hendrix réussit à capter, le temps d’un instant fugace, le saisissant contraste entre la légèreté du sourire de l’artiste et de la volute de fumée et la noirceur et la rigueur géométrique du reste de l’image, créées notamment par les lignes et les angles droits du buste et des bras. La capture de cet instant unique et sa mise en valeur par la lumière, les contrastes et par le cadrage étroit de la photographie sur le buste et la tête de Jimi Hendrix révèlent toute l’ambivalence et les contradictions de cette légende de la musique et font cette photographie une œuvre fascinante et d’une grande beauté qui porte l’empreinte de la personnalité et du talent de son auteur ».

Ce faisant, il se contente de mettre en exergue des caractéristiques esthétiques de la photographie qui sont distinctes de son originalité qui est indifférente au mérite de l’œuvre et n’explique pas qui est l’auteur des choix relatifs à la pose du sujet, à son costume et à son attitude générale. Aussi, rien ne permet au juge et aux défendeurs de comprendre si ces éléments qui sont des critères essentiels dans l’appréciation des caractéristiques originales revendiquées, le cadrage, le noir et blanc, le décor clair destiné à mettre en valeur le sujet et l’éclairage étant pour leur part banals pour une photographie de portrait en plan taille de face, sont le fruit d’une réflexion de l’auteur de la photographie ou de son sujet, si l’œuvre porte l’empreinte de la personnalité de Monsieur G. M. ou de Jimi Hendrix.

En conséquence, en l’absence de précision sur l’origine de ces choix constitutifs des caractéristiques originales revendiquées, Monsieur G. M. ne met pas les défendeurs en mesure de débattre de l’originalité de la photographie litigieuse et le juge d’en apprécier la pertinence.

Aussi, au regard de la définition largement insuffisante de l’originalité invoquée livrée par Monsieur G. M., la photographie litigieuse ne présente pas » originalité et ne constitue pas une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur, l’insuffisance de la description des éléments caractéristiques de l’originalité alléguée constituant en outre une violation du principe de la contradiction.

En conséquence, Monsieur G. M. et la société de droit anglais BOWSTIR LIMITED, qui ne peut avoir plus de droit de son auteur, n’ont aucun droit de propriété intellectuelle sur la photographie litigieuse et n’ont pas qualité pour agir en contrefaçon au sens des articles 31 et 32 du code de procédure civile et L 331-1 du code de la propriété intellectuelle. Leurs demandes sont intégralement irrecevables conformément à l’article 122 du code de procédure civile.

Legalis.net : “Jurisprudences — TGI de Paris, 3e chambre 1re section : jugement rendu le 21 mai 2015”.

1. Le 22 mai 2015,
ossipnadeja

En quoi cette décision de justice vous semble-t-elle “surprenante” ?

2. Le 26 mai 2015,
Calamo

L’originalité n’était pas particulièrement mal défendue : la section du TGI ayant rendu ce jugement a un problème de compréhension de la notion d’originalité en général, et d’originalité des photographies en particulier (ce qui, pour une juridiction spécialisée en droit d’auteur, est assez regrettable, mais c’est un autre sujet), comme l’explique fort bien un excellent confrère (http://www.sharevox.net/page/fL03ydX675).

En même temps, comme la Cour de cassation a rendu un arrêt le 15 mai qui foule aux pieds plusieurs conventions internationales auxquelles la France et l’UE sont parties et traitant du droit d’auteur, il y a une forme de cohérence dans la médiocrité, d’un bout à l’autre de la chaîne (http://www.legipresse.com/enews/info_details.asp?numero=62).

3. Le 26 mai 2015,
Laurent Gloaguen

Merci pour cet éclairage.

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