Journal de bord

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Les regrets de Nathalie

L’an passé à pareille la date, la société québécoise au grand complet s’est mobilisée contre la venue de Bertrand Cantat. J’en faisais partie et je le regrette. Je regrette de m’être jointe à une meute qui était trop occupée à japper et à se gargariser de son indignation pour s’intéresser vraiment à ce dont il était question. Je regrette d’avoir participé à la mise à mort d’un artiste et au sacrifice de sa liberté sur l’autel de l’intolérance, de la vindicte populaire, de l’inculture.

J’en entends affirmer que Wajdi Mouawad n’avait pas le droit de mêler le théâtre et la réalité, pas le droit de parler de la domination des femmes à travers un homme qui a dominé la sienne au point de la tuer. J’ai envie de leur répondre de quel droit, eux, se permettent-ils de dicter ce qu’un artiste a le droit ou non de faire ?

Si Wajdi Mouawad a commis une erreur, ce n’est pas d’avoir mêlé la réalité et le théâtre. C’est de ne pas avoir prévu l’électrochoc qu’il risquait de déclencher avec son projet et de n’être pas allé au front, au-devant des coups, en présentant et en expliquant lui-même sa démarche. S’enfermer dans un mutisme têtu pendant que la société québécoise s’entre-déchirait sur la question fut sa grande erreur. Mais ce qui est fait est fait. On ne peut pas revenir en arrière. On ne peut qu’aller de l’avant. À certains égards, c’est ce que le spectacle Des femmes m’a permis de faire. Il y a un an, je jugeais Bertrand Cantat coupable pour l’éternité et indigne de remonter sur scène. Depuis minuit vendredi soir, je lui ai pardonné. Si c’était ultimement ce que Wajdi Mouawad visait, c’est réussi.

La Presse, Nathalie Petrowski : “Cantat, après coup”.

Il n’ira pas

[…] Qu’on me comprenne bien: je ne cautionne d’aucune manière le geste, indéfendable, que Betrand Cantat a fait. Je ne prétends pas qu’il ne faille pas discuter de la décision controversée de Mouawad de l’inclure dans sa plus récente production.

Ce que je regrette, c’est que l’on ait décidé qu’il est préférable que je n’entende pas Cantat chanter. Que l’on ait jugé qu’il était inacceptable que je puisse le voir sur scène. Et que l’on m’empêche d’apprécier la mise en scène de Mouawad telle qu’elle a été imaginée et conçue, dans son intégrité, sans compromis.

Je n’irai pas voir la trilogie Des femmes. Parce que je refuse les diktats d’une société infantilisante. Que je crois à la réhabilitation des criminels. Et que je n’ai pas envie, d’aucune manière, de cautionner la censure.

La Presse, Marc Cassivi : “Je n’irai pas”.

Art et politique

À l’opposé, Amir Khadir croit que Cantat, « a payé sa dette à la société, et a donc purgé sa peine. Il a le droit d’être réhabilité ».

« Nous, on croit en une justice qui est “réhabilitatrice”, en une justice qui n’est pas revancharde, en une justice qui doit ne pas faire de différence envers les citoyens, qu’ils soient célèbres, des stars, ou des simples citoyens ». On peut discuter du choix du dramaturge Mouawad, « mais nous, on n’est pas en faveur de lyncher les gens sur la place publique, même quand ils ont commis les pires crimes ». Le Canada a ouvert les bras à des leaders israéliens comme Nethanyaou, « qui ont commis de graves crimes contre l’humanité » insiste-t-il.

Du côté du PQ, le critique en matière de culture, Yves-François Blanchet, accusait l’ADQ de faire « de la récupération politique un peu grossière ». « Bertrand Cantat a été jugé dans un État de droit. Il a purgé sa peine. On ne refera pas son procès, même si on a un malaise. Les citoyens sont appelés à trancher en achetant ou pas un billet pour le spectacle », a-t-il affirmé.

La Presse, Denis Lessard et Tommy Chouinard : “Bertrand Cantat au TNM : des vagues jusqu’à Québec”.

Désir de théâtre

Pourtant, à constater hier le réflexe de meute réactionnaire [Patrick Lagacé, Richard Martineau — ndlr] accompagnant la nouvelle de la présence projetée de Bertrand Cantat à Montréal, à entendre et à lire cet appel enflammé aux fourches et au bûcher, à sentir cette excitation du sang, je me suis demandé si je n’avais pas raté, dans mon étourdissement, un virage à droite. La peine capitale a-t-elle été rétablie au pays sans que je ne m’en rende compte ?

Nous vivons dans une société de droit. Une société libre et démocratique qui, pour assurer entre autres une certaine forme de civisme, de civilité, s’est donné un cadre, qu’il soit judiciaire, législatif, réglementaire, statutaire. Un homme commet un crime. Il est puni. Il purge sa peine et peut recouvrer sa liberté. C’est ce que notre droit prévoit. Celui de la France et de la Lituanie aussi.

Bertrand Cantat est un homme libre, en théorie. Encore que je doute que l’on puisse être réellement libre quand on a un meurtre sur la conscience. Il a le droit de vivre. Il a le droit d’être réhabilité. Il a le droit de compter, parmi les amis qui l’ont soutenu récemment, Wajdi Mouawad. Il a le droit de chanter les choeurs de Sophocle, au TNM, à Montréal. Et chacun a le droit d’aller, ou pas, l’y entendre.

La Presse, Marc Cassivi : “Le droit de vivre”.

Mater Dolorosa

En dépit de la célébrité du chanteur, je ne suis pas sûr qu’on évoquerait avec une telle “couverture” médiatique sa sortie de prison si la mère de la victime, Nadine Trintignant, n’avait pas cessé, depuis le drame, de mener un combat évidemment inspiré par la douleur et par la volonté de continuer à faire de cette tragédie une affaire extraordinaire.

J’avais tenté de montrer, à l’époque, dans un article publié par le Figaro, comme ce crime m’était apparu comme terriblement passionnel révélant l’incompréhension de deux mondes, l’affrontement de deux êtres et la violence sans excuse de l’un sur l’autre. Il n’empêche que tout crime, et celui-ci plus qu’un autre, ne peut être appréhendé et expliqué que si on accepte de mettre en face du crime la victime qui, vivante, innocente, sans le savoir, par son attitude, a pu mettre en branle des démons insoupçonnés chez l’autre.

Nadine Trintignant a tout tenté, encore récemment par un courrier, pour interrompre un processus qu’elle sentait proche d’aboutir. Elle n’a pas réussi dans son entreprise et si je plains la mère éplorée et indignée, j’en suis heureux pour la justice.

[…] Même pour soutenir la cause des femmes battues, celle de sa fille qu’elle assimile à ces drames ordinaires en en retirant l’incendie intime, j’ose dire que ses propos me semblent excessifs. Cette légitime dénonciation des violences viriles a-t-elle besoin d’être exprimée avec cette sorte de rage “populiste” qui s’égare par ailleurs sur le plan de la vérité pénale? Puisque Cantat est clairement la seule cible de cette diatribe, puis-je rappeler que le crime qui lui était reproché est puni en France de quinze ans de réclusion criminelle, le meurtre de trente ans et l’assassinat de la réclusion criminelle à perpétuité? Le mélange opéré par Nadine Trintignant pour mieux laisser croire à une scandaleuse indulgence pourrait être admis et compris dans l’immédiateté de l’horreur et de la perte mais quatre années plus tard il est moins convaincant dans son excès que regrettable dans son approximation.

[…] Ce serait une autre mère de victime qui se laisserait aller à proférer de tels propos, nul doute qu’on leur donnerait moins d’écho et qu’ils seraient même taxés d’outranciers.

Si Nadine Trintignant qui, en elle-même et autour d’elle, dans son milieu, grâce à sa culture, dispose d’un tel capital pour ne pas succomber à la haine, y cède, je me demande qui pourra jamais résister à ce ressentiment vindicatif et obsessionnel qui semble avoir remplacé la personne qui manque par l’être toujours présent du condamné. Il faut que celui-ci n’en finisse jamais avec sa peine, avec la peine qu’il a causée.

[Philippe Bilger : “Une immunité pour la douleur ?”]

(La citation est longue, mais il est difficile d’isoler et/ou de retrancher dans la prose de M. Bilger. Allez lire le billet au complet.)

Mettre en branle des démons insoupçonnés chez l’autre. Ah, terrain dangereux et glissant. Violée, elle a tout fait pour… On connaît le mécanisme qui permet de se dédouaner en faisant rejaillir la faute sur la victime.

[Troll]

Oui, Nadine Trintignant en fait sans doute trop. Je la perçois au travers des images télévisées comme une Norma Desmond qui aurait décroché le rôle de sa vie, si tragique et drapé de douleur, l’ultime qu’elle aurait toujours secrètement attendu sans en avoir la moindre conscience. Le couronnement d’une carrière somme toute médiocre. Mais le résultat parait si surjoué qu’il ne convainc pas. Mais, c’est une mère. Peut-on exiger la moindre rationalité de la part d’une mère ? Qui plus est d’une louve privée de sa progéniture ?

Je reprend mon obsédante question : “Que s’est-il donc passé à Vilnius ?”. Peut-être que Marie Trintignant était une névrosée hystérique, une emmerdeuse comme sa mère. Peut-être qu’elle a eu de ces paroles violentes et castratrices dont beaucoup de femmes détiennent l’amer secret… Car, la femelle est parfois vicieuse et sait avec talent agiter des démons insoupçonnés.

Peut-être qu’elle a bien mérité ses baffes finalement, poussant l’autre à ses dernières extrémités psychologiques. Alors, elle a eu le mauvais goût de mourir, même si l’intention du geste n’était pas là. Il est vrai que sa constitution était fluette, mais est-il interdit d’y voir une dernière perversité amoureuse : “Je vais te pourrir la vie.” ?

Comédiennes, toutes des comédiennes.

[/Troll]

Bertrand Cantat

Comme cette histoire est tragique, comme elle serre le cœur, comme elle suinte la tristesse. Et je ne peux pas cacher ma sympathie à l’égard de Bertrand Cantat, sympathie dans son sens originel, “souffrir avec”. Comment se sortir d’un drame pareil ? Je ne peux non plus cacher ma sympathie avec cette figure de mater dolorosa, Nadine Trintignant.

Mais, que s’est-il donc passé à Vilnius ? Un tragique accident, rien de plus. Un douloureux, très douloureux accident, mais qui ne doit pas être instrumentalisé au profit d’autres causes. Il est unique et singulier. Il ne démontre rien, si ce n’est les faiblesses humaines.

Bertrand Cantat et Marie Trintignant n’étaient probablement pas engagés dans une relation violente, une relation de soumission permanente. TF1 nous a ce soir ressorti des vidéos d’amateur tournées sur le plateau du film “Colette”. On peut y voir une complicité, une présence, une affection. Rien qui ne saurait présager du drame imminent.

Mais, que s’est-il donc passé à Vilnius ? Je ne sais pas, je n’y étais pas. Querelle de couple. Sans doute stupide, comme toujours. Les deux ont trop bu, leur nature sanguine et extravertie les poussent à en faire trop. Ils s’aiment, cela semble indubitable, mais dans leur amour, il faut aussi savoir se faire mal. La lucidité embrumée d’alcool, les paroles dépassent la raison. L’irréparable arrive, Bertrand, solide gaillard assène des claques bien senties à la fragile Marie. Puis il s’est probablement effondré dans un lit sans se soucier de ce qu’il a peut-être jugé sur le moment de la comédie. Alors que c’était le geste fatal, irréparable.

Comédie, comédie, n’est-ce peut-être pas là le traître mot de cette navrante histoire ?

Nous ne saurons jamais.

Mais, ce que je sais, parce que je suis persuadé que Bertrand Cantat aimait immensément Marie, c’est que son drame est au moins aussi intense à vivre au jour le jour que celui de Nadine. Cela ne l’excuse nullement, mais cela aide à lui accorder un pardon et de la pitié. Nul ne voudrait être à la place d’aucun des protagonistes de cette histoire.

Est-ce que tout cela est une histoire d’homme contre femme ? Je ne sais pas. Certes, Bertrand était plus balaise que Marie… Mais, à puiser dans mon histoire personnelle, entre hommes, j’ai déjà vécu des nuits de Vilnius, enfin au moins une, où mon ami de l’époque a tenté de m’étrangler. Et, toujours dans mon histoire, je sais que les paroles peuvent se transformer en armes redoutables.

C’était une soirée alcoolisée, il était question de tromperie et j’étais le fautif, tombé dans les bras d’une lesbienne vicieuse. Il voulait me tuer dans sa colère du moment. Après avoir été maitrisé, il a retourné sa violence contre lui-même. Et ce fut sanglant. La soirée qui devait être badine a tourné au cauchemar. Cette nuit là, il y aurait pu avoir un mort. Et rien ne l’aurait laissé imaginer avant.

Alors, Bertrand Cantat, son histoire ne m’est pas indifférente. Et, je crois que limiter cette histoire à la violence faite aux femmes est un peu réducteur, simpliste.

C’est avant tout une histoire de couple, dérisoire, insignifiante et tragique. Une histoire où l’on pourrait préférer s’appeler Marie que Bertrand. Parce qu’il y en a un des deux à ne plus souffrir. Je n’aimerais vraiment pas être Bertrand Cantat.

Beaucoup trop de vies brisées pour un instant de colère.

Je veux juste témoigner que la vie n’est pas simple et que te tenter de la circonscrire dans des jugements de peu de mots, ou au bénéfice d’une cause, aussi louable soit-elle, est vain. Qu’il n’y a pas lieu de faire concurrence entre les douleurs.

Bertrand et Marie, c’est juste une histoire d’amour qui finit mal. Stupidement. Sans préméditation. Qu’en dire de plus, à part penser que certains êtres s’exposent plus à ce genre de conclusions… Cela tient de la fatalité. Qu’y pouvons nous ?

Mais, je sais à coup sûr qu’il ne fait souvent pas bon d’être le survivant.