[…] Parce qu’il revêt la même caractère ambivalent, à la fois menaçant et provocateur, que ce geste de défi lancé par les femmes nues sculptées sur les chapiteaux d’églises irlandaises. On les appelle Shelah-na-gigs, ce qui signifie, en vieil irlandais, Julie la giddy, l’équivalent d’une « Marie couche-toi-là ». Les Shelah-na-gigs sont des exhibitionnistes dont l’existence remonte si loin en arrière qu’il s’en trouve même des traces dans l’Égypte antique. Elles existent encore de nos jours, à travers toute l’Europe, sous la forme de bas-reliefs obscènes ornant le sommet des colonnes d’église : généralement seins nus, ces femmes au visage impassible écartent les cuisses et parfois même les bords de leur sexe à deux mains.
Ces sculptures ont pour but d’éloigner les démons, comme si le fait d’exhiber son intimité en public faisait l’effet d’une douche froide… À moins que ce ne soit le contraire ? Certains chercheurs rapprochent cette image du mythe de Baubo qui, dans la mythologie grecque, sauva le monde en montrant ses organes. L’influence salutaire de ce strip-tease génital reste attestée dans de nombreux contes du Moyen-Âge. On en retrouve la trace jusque dans un célèbre livre intitulé Le moyen d’y parvenir et qui raconte l’anecdote suivante : il était une fois un bringuenel, c’est à dire un garçon qui n’avait jamais vu de vulve dans sa vie. « Étant en fiançailles », il voulut voir au moins celui de sa promise et ne trouva rien d’autre à dire, pour la convaincre, qu’il se sentait fort malade et que le seul médicament était qu’elle relève sa chemise… Or il advint que quelques mois après son mariage le valet attrapa une forte fièvre, assortie de violentes douleurs. Alors la jeune femme, se rappelant ce qu’il lui avait dit, se planta devant le lit de son amoureux et « levant cotte et chemise lui présenta son cela en belle vue. » « Jean, cria-t-elle, regarde le con et guéris !».
L’histoire ne dit pas si le valet fut guéri. Mais il semblerait bien que jusqu’au 16e siècle, l’image du « con » ait été révérée comme une forme très efficace de protection contre les maléfices. Il y a d’ailleurs encore des gens qui clouent un fer à cheval au-dessus des portes de grange ou de maison… sans savoir que la forme du fer renvoie symboliquement à celle d’un sexe féminin. Qu’elle soit représentée sous forme de coquillage, de queue de lapin, de grenade ouverte ou d’une sirène au bas-ventre fendu par une double-queue de poisson, la vulve reste un objet entouré d’une puissance si redoutable qu’elle est utilisée pendant des siècles à la façon d’un symbole protecteur… tout comme le pénis, d’ailleurs, accompagné de bourses bien remplies. […]
Les 400 culs, Agnès Giard : “Le con qui vous fait un doigt”.