Journal de bord

dimanche 22 janvier 2006

Garfieldd, l’attente

Le communiqué du Ministre, peu de temps après les débuts de la médiatisation de l’affaire, est certes un bon signe. Cependant, il ne peut satisfaire non plus.

En effet, bien des questions restent en suspens. Et aucun calendrier n’a été fixé.

Le communiqué fait toujours état d’une faute et d’une sanction. L’affaire est donc loin d’être terminée. Sur quels éléments M. Gilles de Robien va-t-il statuer ? De quelle façon va-t-il se déjuger ?

La faute dénoncée ne relève pas de l’accomplissement du métier de proviseur, mais de l’exposition d’un pan de vie privée, sous un pseudonyme. Or, le Ministère s’est lui aussi livré à l’exposition de la vie privée en livrant le proviseur sous l’étiquette “pornographe ET homosexuel” aux médias. Pire encore, il n’y avait plus de pseudonyme et ce n’était pas sur un blogue au lectorat confidentiel (une quarantaine de visiteurs réguliers, des amis, selon Garfieldd) et du choix de son auteur.

Le Ministère n’a-t-il pas commis une faute morale, en jetant le nom de l’intéressé en pâture aux médias, le dénonçant comme pornographe, tout en associant cette accusation à l’homosexualité — ce qui laisserait penser que certaines considérations homophobes auraient pu influer sur la décision ? Exposition médiatique sans aucune considération des effets désastreux sur la vie de cet homme cloué au pilori, par la grâce de quelques corbeaux d’un établissement scolaire voisin, sans aucun respect de la dignité humaine.

Continuons la pression, publions encore et encore sur le sujet, surveillons les médias, activons nos réseaux… Ne laissons pas tomber Garfieldd. Ne laissons pas une seconde le Ministère à croire à un tassement de l’affaire.

1. Le 22 janvier 2006,
Anatole (prénom fictif)

Après dix minutes d’hésitation, je me décide à poster ce commentaire pour faire part de mes réserves, histoire de mettre en relief quelques arguments qui me poussent à ne pas te suivre dans le «continuons la pression, publions encore et encore sur le sujet». Ils ne prétendent être qu’une opinion, à chacun de faire la sienne ; je les offre à la réflexion de tes lecteurs.

1) Version optimiste : «continuer la pression», c’est du temps perdu.

Le ministre a probablement pris sa décision quand il a consulté le dossier, et ne l’a pas annoncée immédiatement pour des raisons d’ordre protocolaire (une autorité doit prouver qu’elle n’agit pas sous la pression). Une mobilisation forcément un peu déclinante n’y changera rien, ni en bien ni en mal. Simplement l’énergie qui y est consacrée est gaspillée, et comme tu l’écris très justement toi-même “Y a pas que Garfieldd”.

2) Version pessimiste : «continuer la pression» peut être contre-productif.

a) On est entré avec le ministère dans un jeu de négociation, cf. le raisonnement impeccable de la lettre d’Eolas : on menace le ministre des pires avanies s’il se montre aussi stupide que ses subordonnés ; le ministre fait un geste ; c’est à nous d’en faire un.

b) À part quelques crétins trolleurs (qui se comptent sur les doigts d’une main) les interventions qui se sont manifestées jusqu’ici sont toutes favorables au malheureux proviseur. Le ministre n’a donc presque aucune raison politique de ne pas trancher en son sens : il n’y a pas de «camp d’en face» qui réclamerait la sévérité la plus grande. En fait si tout de même, ce «camp d’en face» se réduit pour l’instant aux quelques apparatchiks de son administration qui ont monté le dossier et qu’il ne faut pas désavouer complètement (mais je doute que le ministre ait envie de leur faire un cadeau, vu l’ineptie des déclarations qu’ils ont faites en son nom). À poursuivre la lutte alors que l’adversaire s’est révélé inexistant, le risque est de le pousser à s’organiser lui aussi et à voir naître une contre-pression. Et on peut imaginer deux sources de contre-pressions, celle des activistes homophobes qui commenceraient à conspuer un ministre «cédant au lobby gay» (inutile de réveiller ce genre de bestioles), et celle de la technocratie ministérielle qui se sentirait menacée par une décision prise sous pression de la blogosphère. C’est ce second point qui me paraît le plus risqué : des charlots ont centré le débat sur l’exhibition de la vie privée et la «pornographie» (!!!) et ont été justement ridiculisés, inutile de leur laisser une chance de lancer de nouveaux arguments à partir des pages de Garfieldd directement liées à sa vie professionnelle.

Voilà pourquoi quant à moi je «cesse de me mobiliser». Étant bien entendu, cher Gilles si vous me lisez, que je serais prêt à m’énerver quelque peu de nouveau si, dans un très improbable moment d’égarement, vous repreniez une décision insensée.

2. Le 22 janvier 2006,
Miam

Bravo Laurent. Sauf que ça te met “hors” de toi visiblement (d’habitude tu écris “or” quand il le faut), hors de toi au point qu’apparemment tu estimes que l’homme est cloué au… hum, “clitoris”, peut-être ?!!! ;-) (tu aurais certainement écrit “pilori” si tu étais dans ton état normal, j’en suis sûre, depuis le temps que je te lis). Bon bref, tu fais de très beaux lapsus mais ça n’enlève rien à ton texte, au contraire. On est nombreux à être choqués, c’est une affaire très importante et ça m’a fait du bien de te lire là-dessus. A +

3. Le 22 janvier 2006,
Jean-Marc Bondon

Je partage en grande partie le sentiment d’Anatole. La mobilisation signifie sans doute de rester vigilants mais responsables. Il s’agit de l’avenir professionnel d’un homme et du rapport entre une institution et un individu. Le respect de la position de Garfieldd doit rester notre guide. Notre attitude et nos propos doivent garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas de faire de Garfieldd un martyre mais de préserver toutes les chances qu’un avenir professionnel soit encore possible pour lui. Nous ne devons pas souffler sur les braises si l’institution consentait à envisager son avenir professionnel sous de meilleurs auspices.

Je ne crois pas utile d’en faire un débat sur l’homophobie supposée de cette commission dont finalement on ne sait rien.

Nous avons peu de banderoles à déployer et je suis déçu de la non position publique des enseignants eux-mêmes par l’intermédiaires de leurs différents représentants. Je suis déçu également qu’aucun député n’est posé de question au ministre à l’assemblée.

La finesse et l’intelligence de la majorité des billets publiés, la lettre à Gilles, fabuleux billet de Maître Eolas, cette longue liste de liens, ici chez toi Laurent et pour l’instant l’absence de fait nouveau, nous imposent, je crois à une certaine modération, enfin pour le moment.

4. Le 22 janvier 2006,
Lucie (prénom fictif)

Sacrée matière à réflexion… En eux-mêmes, tous les arguments d’Anatole sont bons. Mais je ne pense pas que le ministre ait déjà arrêté sa décision : sans doute consulte-t-il. Si elle était déjà arrêtée, ne nous leurrons pas, elle serait moins clémente que ce que nous voulons l’imaginer. Donc, reste cette épine de la « mobilisation » et du « comment » la prolonger pour être utiles sans être nuisibles.

Il faudrait que cette affaire dépasse un peu la blogosphère pour ce qui est de l’engagement. Or, c’est raté. En général, c’est Libération qui se saisit de ce genre de cause. On a vu que cette fois-ci leur fausse route de départ fait qu’ils ne « mouilleront » pas la chemise. On note aussi, comme Jean-Marc Bondon, le silence des syndicats enseignants et des élus, toutes tendances confondues. Tant mieux sans doute, cette affaire ne devant, dans l’intérêt de Garfieldd, pas prendre une tournure politique. Mais c’est tout de même un silence assourdissant.

Se remobiliser après que le ministre aura pris sa décision sera très difficile : on peut pointer l’erreur de jugement hâtif d’une commission et s’en indigner. Ce serait nettement moins évident pour celle d’un ministre qui a deux mois pour réfléchir. Même en comptant sur tous les recours légaux qui resteraient à Garfieldd ensuite, il vaudrait mieux que la décision que « Gilles » va prendre soit la bonne.

Si l’on compte le nombre de billets publiés qui pointent ici (mais qui ne sont pas les seuls) et le nombre de signataires de la pétition, chaque billet a amené au maximum 5 signatures, dont comme on peut le croire, celle de l’auteur du billet. Ce n’est pas beaucoup. Cette pétition va au-delà de la blogosphère et rejoint l’ensemble des internautes. Car il n’y a pas d’illusions à entretenir : au-delà du monde du web, le Français ne sait rien de l’affaire Garfieldd.

C’est cette pétition qui doit maintenant continuer à croître de jour en jour et passer le cap de ce week-end qui l’a considérablement ralentie. Alors, peut-être que la solution est de continuer à « mobiliser » autour d’elle dans nos billets et de devenir plus silencieux quant à nos « adresses » au ministre…

5. Le 23 janvier 2006,
Ricou

Après avoir entendu sur France Culture, les propos de Jean-Louis Bourlanges (député européen, appartenant à la même formation politique (UDF) que Gilles de Robien) caractérisant l’administration l’Éducation Nationale et son ministre, il semble peu probable que ce dernier se déjuge (dans le sens où Laurent le souhaite).

Jean-Louis Bourlanges ne dit-il pas de Gilles de Robien ’Au bal des faux-culs, le Ministre de l’Éducation ne ferrait pas tapisserie … ’ en évoquant l’agression de Karen Montet-Toutain.

À écouter via le podcast de l’émission ’Esprit Public’ de France Culture ou ici (1’37”) en ligne (aller à la fin du billet : m.a.j. 22/01) ou bien , en téléchargant le mp3 ad hoc.

Il semble donc que la méfiance du cap’taine soit des plus justifiées.

Lucie dixit : ’On note aussi, comme Jean-Marc Bondon, le silence des syndicats enseignants et des élus, toutes tendances confondues.’ —> peut-être que nous ne les entendons pas, d’après Garfieldd, ils sont loin d’être inactifs ’Je suis remarquablement soutenu par les responsables élus de mon syndicat, le SNPDEN. Et les syndicats d’enseignants de mon établissement me soutiennent.’ dit-il, c.f. Garfielddgate, protalgate, le rebondissement de Dangereuse trilingue.

6. Le 23 janvier 2006,
idelse

@Ricou : on sait les relations très tendues de Gilles de Robien avec l’UDF, son parti d’origine, actuellement dans l’opposition alors que GdR participe au gouvernement. Dans ces conditions, je ne pense pas que les propos de J-L Bourlanges soit suffisante pour être pessimiste. Restons vigilants mais prudents…

7. Le 23 janvier 2006,
skoobeedoo

Bonjour,

Je vais me situer un peu en précisant que j’ai rédigé la pétition de soutien à Garfieldd. J’ai noté que peu de gens avaient relevé qu’à aucun moment elle ne faisait état des préférences de Garfieldd alors que un très grand nombre de signataires commentent sur « l’homophobie » de la décision. Sujet à méditer.

Autre sujet à méditer durant cette période d’attente et après que l’affaire ait passé le sommet de sa courbe de Gauss, l’avenir de ce type d’embrasement spectaculaire et sa proximité avec l’auto-combustion. Tout ce qui vient de se passer me semble pouvoir ouvrir vers de nouvelles relations avec le pouvoir. Allez voir là pour vous faire une idée. http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2678.asp Si vous pensez que d’autres que les porteurs de ce projet ont intérêt à s’en mêler, c’est peut-être l’occasion d’ouvrir le débat.

8. Le 23 janvier 2006,
Frederic_le_chauve

Tu as sans doute eu raison cher Scoubidouuuu, dans cette pétition, de ne pas parler de l’orientation sexuelle de Garfieldd. Nous aurons l’occasion de porter l’affaire sur le terrain de l’homosexualité et de l’homophobie au cas où la “révision” serait un leurre. Les accusations portées contre lui l’étaient sur l’incompatibilité de son blog avec sa fonction, lui,le “représentant de l’Etat et, par conséquent, de l’Autorité”, se devant d’être “exemplaire”. J’essaie, sans prendre parti, juste de me mettre dans la peau de ceux qui ont voté sa révocation (secret du vote mais, comme c’est une commission paritaire, il a donc dû y avoir des “pairs” de Garfield, donc des proviseurs (son corps dans l’Education nationale), élus sur listes syndicales, qui ont voté pour sa révocation: ceux qui aujourd’hui ne méritent pas de dormir c’est eux !). Si on peut se demander à la limite, en se faisant l’avocat du diable, si un proviseur doit, montrer ou ne pas montrer ses fesses sur le Net, de peur que ça puisse devenir un sujet de moquerie, donc de perte d’autorité (!!!!) auprès notamment des élèves, il faudra renvoyer à ses censeurs (pas les proviseurs-adjoints, non, les autres!) les calendriers des rugbymen qui montrent leur c… pour leur prouver l’inanité, ou le caractère difficilement tenable aujourd’hui, de leurs préjugés dans cette affaire. On va voir ce que le SNPDEN va faire désormais pour aider Garfieldd, un de ses syndiqués. C’est un syndicat corporatiste puissant et il ne laissera pas faire, lui non plus. Le soufflé ne va pas retomber, cher Scoubidoo. Il faut juste comme dirait l’autre, parfois laisser du temps au temps (tiens, je vire socialiste moi? Rires). Qui veut voyager loin ménage sa monture. Ici Garfieldd n’est pas un jouet, nous ne l’avons jamais pris comme notre jouet, et nous sommes là, non pas pour en faire un martyr de la “cause”, mais l’aider, le soutenir pour, tout prosaïquement, le remettre dans le circuit. Bien amicalement.

9. Le 23 janvier 2006,
Anne Onyme

@Anatole (prénom fictif), Fredericlechauve:

Vous vous interrogez pour savoir si, en continuant votre action, vous ne risquez pas de voir une mauvaise motivation pour une révocation (pornographie et vie privée) se transformer en une motivation acceptable : incompatibilité entre blog et responsabilité, suite au contenu strictement professionnel du blog de Garfieldd.

J’ai expliqué en commentaire à un billet précédent qu’à mon sens, ce contenu justifiait une sanction.

Le blog de Garfieldd n’avait pas vocation à être lu par les professeurs, les élèves et les parents d’élève de son lycée (ni par son recteur).

Dans un cadre privé, nul ne saurait objecter quoique ce soit aux propos de Garfieldd sur son métier. Par contre, tenu dans un cadre public, ils méritent une sanction, de mon point de vue, car ils outrepassent la discrétion professionnelle que l’on est en droit d’attendre d’un proviseur.

Ceci dit, la sanction doit être mesurée à la faute. Même si l’on retient à charge contre Garfieldd tel ou tel de ses billets professionnels (et c’est la position que je tiendrais), il n’y a franchement pas de quoi justifier une révocation.

10. Le 24 janvier 2006,
Frederic_le_chauve

@Anatole (prénom fictif). Je crois que le syndicat de Garfieldd sera sur des positions très proches des vôtres dans la suite de cette affaire, dans la défense des intérêts de Garfieldd. Ne pas dépasser les limites de “l’avertissement” ou du “blâme” en raison d’une certaine discrétion professionnelle (exit tout ce qui a été dit sur le contenu prétendûment “pornographique” du blog) demandée à un proviseur.

Blah ? Touitter !