Michelle Blanc, avec la subtilité et l’élégance intellectuelle qu’on lui connaît, place le “carré rouge” sur un pied d’égalité avec “le col mao, la barbe islamiste, la croix gammée”.
Il serait vraiment intéressant que des sociologues neutres (si ça existe encore) s’intéressent à ces questions et nous aide à comprendre sans le parti pris de la gauche, ce phénomène nouveau au Québec. De mémoire d’homme, jamais un sigle politique (le carré rouge) n’avait été porté par une frange importante de la population ici. On sait sans doute que d’autres éléments symboliques politiques ont eu cette portée ailleurs dans l’histoire récente (le col mao, la barbe islamiste, la croix gammée), mais ici, au Québec, je ne trouve pas de corolaires. Dans vos commentaires, évitez de me dire que la jeunesse est belle et que c’est une saine expression de la colère. Je sais déjà tout ça et la jeunesse qui est belle a déjà très bien servi Hitler ou Mao (qui étaient de droite et de gauche). Comme le soulignait Bouchard, nous sommes maintenant dans l’irrationnel symbolique et ça va prendra sans doute un autre symbole pour nous sortir de cette crise.
Michelle Blanc : “L’importance de la symbolique du mouvement étudiant”.
Je vous épargne le passage où elle convoque La Troisième Vague pour faire un parallèle entre le mouvement étudiant et la montée du nazisme.
On m’apprend qu’elle aurait aussi mis au feu ses petites robes rouges, “trop communiste”.
Il est toujours utile de citer Roland Barthes, encore faut-il le comprendre.
Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro.
C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase [contraction] entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre.
Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu’est le bon sens.
Car ceci, le scandale vient d’un illogisme : la grève est scandaleuse parce qu’elle ne gêne précisément ceux qu’elle ne concerne pas. C’est la raison qui souffre et se révolte : la causalité directe, mécanique, computable, pourrait-on dire, qui nous est déjà apparue comme le fondement de la logique petite-bourgeoise dans les discours de M. Poujade, cette causalité-là est troublée : l’effet se disperse incompréhensiblement loin de la cause, et c’est là ce qui est intolérable, choquant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire des rêves petits-bourgeois, cette classe a une idée tyrannique, infiniment susceptible de la causalité : le fondement de sa morale n’est nullement magique, mais rationnel. Seulement, il s’agit d’une rationalité linéaire, étroite, fondée sur une correspondance pour ainsi dire numérique des causes et des effets. Ce qui manque à cette rationalité-là, c’est bien évidemment l’idée des fonctions complexes, l’imagination d’un étalement lointain des déterminismes, d’une solidarité des évènements que la tradition matérialiste a systématisé sous le nom de totalité.
La restriction des effets exige une division des fonctions. On pourrait facilement imaginer que les « hommes » sont solidaires : ce que l’on oppose, ce n’est donc pas l’homme à l’homme, c’est le gréviste à l’usager. L’usager (appelé aussi l’homme de la rue, et dont l’assemblage reçoit le nom innocent de population : nous avons déjà vu tout cela dans le vocabulaire de M. Macaigne [Pierre Macaigne, journaliste au Figaro]), l’usager est un personnage imaginaire, algébrique pourrait-on dire, grâce auquel il devient possible de rompre la dispersion contagieuse des effets, et de tenir ferme une causalité réduite sur laquelle on va pouvoir raisonner tranquillement et vertueusement. En découpant dans la condition générale du travailleur un statut particulier, la raison bourgeoise coupe le circuit social et revendique à son profit une solitude à laquelle la grève a précisément pour charge d’apporter un démenti : elle proteste contre ce qui lui est expressement adressé. L’usager, l’homme de la rue, le contribuable sont donc à la lettre des personnages, c’est à dire des acteurs promus selon les besoins de la cause à des rôles de surface, et dont la mission est de préserver la séparation essentialiste des cellules sociales, dont on sait qu’elle a été le premier principe idéologique de la Révolution bourgeoise.
C’est qu’en effet nous retrouvons ici un trait constitutif de la mentalité réactionnaire, qui est de disperser la collectivité en
individus et l’individu en essences. Ce que tout le théâtre bourgeois fait de l’homme psychologique, mettant en conflit le vieillard et le Jeune Homme, le Cocu et l’Amant, le Prêtre et le Mondain, les lecteurs du Figaro le font, eux-aussi de l’être social : opposer le gréviste et l’usager, c’est constituer le monde en théâtre, tirer du monde total un acteur particulier, et confronter ces acteurs arbitraires dans le mensonge d’une symbolique qui feint de croire que la partie n’est qu’une réduction parfaite du tout.
Roland Barthes. “L’usager de la grève”, 1957.
L’otage de la grève revendique un malheur. Par la supplication feinte, le gémissement véhément, l’affliction démonstrative, il réclame l’estime et le respect de ceux qu’il combat et qui le privent de ses repères coutumiers. Il observe une stratégie de l’accablement. La pitié est son négoce. Son désir : l’inspirer afin de s’en prévaloir. Il s’arroge une faiblesse alors qu’il se trouve du côté du manche, du fort institutionnel. Il réagit par une sorte d’absence visible et mime ici où là, à doses homéopathiques, ceux qui le troublent sans le séduire, je veux dire ceux qui prennent des libertés avec un « savoir-vivre » et mettent à l’occasion les pieds dans le plat quand la cantine leur déplaît. Il est dans son rôle d’un champion du désespoir, interprété avec une assurance balbutiante dans les médias, « pour faire plus vrai ». Il s’évertue à produire de la mélancolie et porte sur son environnement limité le regard des chiens battus par d’autres maîtres que le sien, une mélancolie infinitive que des ministres conjuguent pour lui, car l’otage de la grève, en dernier ressort, est un légitimiste, comme l’est, par ailleurs, le petit actionnaire spolié.
L’Humanité, Denis Fernàndez-Recatalà, 10 juin 2003 : “L’otage de la grève”.
Nous avons au Québec une “matante des réseaux sociaux 2.0” qui ne cesse de chialer ces derniers jours. Et d’être “inquiète pour Montréal, pour le Québec et pour la démocratie”. Et de geindre “Nous vivons l’anarcho-syndicalisme”. Et de craindre “la Révolution communiste”. Et de glapir devant le Péril rouge. Et de se lamenter de la prise d’otages par des “wanabe terroristes économiques”, du bruit des manifestants comme de celui de l’hélicoptère de la police. Et de rouspéter qu’elle ne peut plus promener sa chienne tranquillement.
Et de citer Roland Barthes à contresens :
Instrumentaliser les écrits de Barthes quand on porte la parole de la raison petite-bourgeoise, ce “mixte de morale et de logique qu’est le bon sens”… Ne reculons devant rien.
Oui, comme dans les années 1950, “Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature.”
“Inadmissible, scandaleuse, révoltante” disaient certains lecteurs du Figaro. 55 ans plus tard, on lit toujours la même chose sous la plume des éditorialistes réactionnaires, comme Aubin au Journal de Montréal et tant d’autres ailleurs.
Michelle Blanc, grande théoricienne du Moi Inc. sur la Toile, à qui la seule vue de Gabriel Nadeau-Dubois pourrait déclencher de disgracieux érythèmes, ne fait que reproduire de vieux schèmes de la pensée bourgeoise et réactionnaire sous le masque d’une pseudomodernité conférée par les médias numériques. Toute sa carrière récente s’inscrit dans la promotion multimédia de l’ego ; il est bien certain qu’elle ne puisse ainsi se retrouver dans les valeurs portées par la jeunesse étudiante en lutte.
Michelle Blanc poursuivait Bang Bang Blog (Simon Jodoin et André Péloquin) pour ce photomontage la faisant apparaître comme Abraham terrassant Isaac Petrowski.
Je ne suis pas très au fait des lois locales, mais ses chances de gagner m’avaient paru bien minces. La question à se poser est “eût-il s’agi de n’importe quelle autre femme dans la même situation, Simon Jodoin aurait-il fait le même montage ?”. J’ai tendance à répondre par l’affirmative, et l’intention contraire, si était, serait difficile à prouver.
La lecture du jugement complet [PDF] est plaisante et intéressante (et devrait intéresser mes amis avocats en France).
En résumé, le juge comprend bien le sentiment d’outrage éprouvé par Michelle et ses raisons, mais cette dernière étant un personnage public, elle n’est pas à l’abri de commentaires ironiques protégés par la liberté d’expression. C’est la rançon de la notoriété.
Quant au public que Bissonnette qualifie de « gazouillant et de placoteux », elle a tort de se montrer aussi condescendante à son égard, mais raison de remettre en cause sa représentativité. Si les placoteux sont représentatifs, c’est d’abord d’eux-mêmes, puis d’une infime partie de la population et de l’opinion publique. En plus, beaucoup de ces placoteux entretiennent eux-mêmes un blogue, une page Facebook et un compte Twitter. Ils se répondent les uns les autres dans un dialogue en circuit fermé qui finit par tourner en rond, quand il ne se mue pas en insupportable soupe autopromotionnelle.
Pour s’en convaincre, il suffit d’aller sur le site de Michelle Blanc, la papesse de la communauté web au Québec. Jeudi, le premier élément sur son site était une invitation à aller la voir livrer sa 22e chronique à l’émission de télé LeLab, suivie d’une invitation à relire et à revoir ses sept derniers billets, suivi, trois éléments plus bas, d’une autre invitation à aller la voir livrer sa 21e chronique à l’émission LeLab. Si seulement Michelle Blanc était la seule, mais l’autoplogue compulsive est la norme parmi les placoteux. Lisez-moi, regardez-moi, écoutez-moi. Moi, moi, moi… Ce nombrilisme extrême, à mon avis, est bien plus déplorable que le placotage, le gazouillis ou la dispersion.
Nathalie Petrowski, placoteuse salariée chez La Presse : “Gazouillis de placoteux”.
Je propose un crêpage de chignons en règle (ou un combat de boue) entre Nathalie Petrowski et Michelle Blanc.
Je vous laisse juger par vous même de l’élégance et la finesse d’esprit de Mlle Faustine Henry qui publie sur le blog de l’agence Vanksen ce texte :
Michelle Blanc est une femme qui était Michel Blanc avant, un homme donc. J’espère que cette entrée en matière assez laconique suffira à vous faire comprendre que j’aimerais éviter de rentrer dans le débat relatif au passage de Michel Blanc à Michelle Blanc.
On ne saurait fourvoyer ce blog dans des considérations qui font déjà débat sur la Toile à propos de cette transexualité. Imaginez les bonds que ferait mon manager devant de probables commentaires mais réflexion non grata. “Michel est-il épilé ? Michel est-il opéré ? Michelle a-t-elle un fiancé ?”
Non public ! Ce blog est une chose sérieuse voyons, et on espère que vous prendrez à sa juste valeur cette vidéo où l’expert(e) en marketing québécois(e), Michou donc, revient sur la pertinence des médias sociaux en prime time sur RDI. Le contenu est somme toute très pertinent, mais on avoue devoir se mordre la langue pour éviter le fou rire général dû au phrasé… Tabernacle !
Vanksen Culture-buzz, Buzz & Communication Agency : “De l’usage des médias sociaux par Michelle Blanc”.
Franchement, il y a bien des raisons de se foutre de la gueule de Michelle Blanc, elle le mérite parfois. Mais pas sur ce mode qui pue.
Puis il [Embruns] pointait vers cette petite canaille qui se fait une gloire d’arnaquer tout le monde avec son mensonge fabriqué qu’il nomme pompeusement « du marketing viral ». Ce sont des petits connards de son espèce qui discréditent les blogueurs comme source digne d’intérêt auprès des lecteurs et des médias. Son mensonge avait l’air crédible de prime abord et il est certain qu’un jour ou l’autre, une chose comme ça va arriver. Mais je sais désormais que Arnaud Jeulin alias Dauran est un petit con à éviter et qu’il bénéficiera sans doute d’un effet viral planétaire, mais contrairement à ce qu’il semble croire, sa gloire pourrait être éphémère et même négative.
Michel Leblanc : “Les blogues de niches vont se faire acheter”.
Leçon n°1 : ne pas croire tout ce qui est écrit sur Embruns. Et plus encore, examiner toute information de cette source avec la plus grande suspicion.
Leçon n°2 : utiliser le conditionnel pour une information non vérifiée. Un courriel au principal intéressé, Éric Dupin, aurait vite fait l’affaire.
En tout cas, un grand merci à Arnaud Jeulin pour de grands moments de rigolade.
(Par ailleurs, Embruns a été vendu à Lagardère, pour un montant resté confidentiel. On en reparle bientôt.)