Journal de bord

jeudi 16 août 2012

Parlons français

L'Équateur accorde l'asile politique à Assange, Londres s'objecte

[Radio Canada : “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres s’objecte”.]

Objecter veut dire réfuter une idée, opposer un argument à une affirmation.

En français, le verbe “objecter” est uniquement transitif et jamais pronominal.

La forme la moins risquée est “J’objecte que…”.

Nous objecterons à cette analyse que la relation de similarité demeure trop imprécise pour relever de la diagrammaticité au sens strict et nous considérerons plutôt cette diagrammaticité comme métaphorique.

Marianne Kilani-Schoch, Wolfgang U. Dressler, Morphologie naturelle et flexion du verbe français, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2005.

Nous objecterons à ce physicien, et nous nous objecterons à nous-mêmes, qu’il n’est pas possible de supposer que les lunettes d’Hévélius fussent plus fortes que toutes celles avec lesquelles on observe depuis longtemps les comètes : mais nous ajouterons aussi que ces crevasses nous paraissent fort suspectes.

Étienne-Claude Marivetz, Louis-Jacques Goussier, Physique du monde dédiée au Roi, Paris, Quillau, 1781.

En anglais, le verbe “to object” peut être utilisé de façon intransitive. Il signifie alors faire entendre une forte opposition, une contestation, l’expression d’un désaccord. J’imagine que cet usage a été popularisé par les innombrables séries télévisées américaines se passant dans des tribunaux où le “I object, Your Honor” est monnaie courante.

I object, your Honor! This line of questionning is really weird.

En français, la forme intransitive, “J’objecte !”, comme la forme pronominale, “Je m’objecte à…”, et pire encore, la forme intransitive pronominale de Radio Canada, sont fautives. Ce sont des barbarismes.

Il eût fallu écrire “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres s’y oppose”, ou encore “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres proteste”.

De même façon, ces phrases sont incorrectes :

[…] L’avocate de la Couronne, Me Isabelle Côté, s’est objectée à sa remise en liberté parce qu’il avait un antécédent d’alcool au volant en 2002. […] L’avocat de Goulet, Me Denis Lavigne, s’est dit surpris que la Couronne s’objecte à la remise en liberté de son client.

Le Soleil, Ian Bussières : “Accusé d’avoir causé la mort de son jumeau”.

Il eût fallu écrire :

[…] L’avocate de la Couronne, Maître Isabelle Côté, s’est opposée à sa remise en liberté parce qu’il avait un antécédent d’alcool au volant en 2002. […] L’avocat de M. Goulet, Maître Denis Lavigne, s’est dit surpris que la Couronne s’oppose à la remise en liberté de son client.

P.S. Ha, ha… Je viens de voir que dans ma citation de 1781, il y a une utilisation transitive pronominale : “et nous nous objecterons à nous-mêmes”… Inutile lourdeur, ils eurent mieux fait d’écrire “Nous objecterons à ce physicien, et nous objecterons à nous-mêmes”, et mieux encore “Nous objecterons à ce physicien, ainsi qu’à nous-mêmes”.

1. Le 16 août 2012,
Titem

L’OQLF ne fait, en tout cas, aucune objection à ce rappel linguistique ! http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8869532

2. Le 16 août 2012,
Eric

Quelqu’un de Radio Canada a dû lire ton billet (peut-être l’auteur d’un invisible commentaire qui apparaît dans mon fil ?). Adoncques, maintenant Londres s’y oppose.

3. Le 17 août 2012,
padawan

« Ne disez pas, médisez »

J’ai bien rigolu.

(Bizarre que ce commentaire apparaisse dans mon fil RSS mais pas sur la page. Mais bon, c’est pas comme si on ne m’avait pas prévenu que RSS était mort. :p)

4. Le 17 août 2012,
Laurent Gloaguen

J’étais de mauvais poil hier soir, le couperet est tombé sur le troll…

5. Le 18 août 2012,
narvic

Mais que fait donc ce passé antérieur de l’indicatif là où il eût fallu un conditionnel passé (deuxième forme, en l’occurrence) ?

Un conseil : quant à dénoncer les barbarismes des autres, autant préférer l’expression la plus simple. Un conditionnel passé première forme aurait été, me semble-t-il, bien suffisant… et moins risqué. ;-)

Pour réviser…

6. Le 18 août 2012,
Laurent Gloaguen

Rhhhaaaa, il suffit de dénoncer une erreur pour en commettre une autre… :-)

Je préfère la deuxième forme du conditionnel passé, plus euphonique à mon goût.

Blah ? Touitter !

Parlons français (2)

Legault de nouveau sur le fil de fer constitutionnel

[Radio Canada, François Messier : “Legault de nouveau sur le fil de fer constitutionnel”.]

Titre étrange…

En anglais, l’expression “On the wire” peut parfois signifier, dans certains contextes, un état d’indécision, être hésitant devant une alternative. Elle fait référence à l’image d’un funambule en équilibre instable sur son fil de fer, penchant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

En français, la locution “être sur le fil” fait toujours référence au fil du rasoir, et signifie être dans une situation instable et dangereuse. Ainsi, nous écrirons “M. Jean Charest est sur le fil du rasoir dans sa circonscription”. On peut être aussi être “battu sur le fil”, expression qui remontre à l’époque où la ligne d’arrivée en athlétisme était matérialisée par un fil ou un ruban. Nous espérons donc avoir le prochain plaisir d’écrire “M. Jean Charest a été battu sur le fil dans sa circonscription”, et mieux encore, “battu à plate couture”, car pourquoi se limiter à un fil…

Nous croyons donc comprendre que M. Legault est indécis, voire changeant, sur les questions constitutionnelles, sans toutefois en être bien sûr. “Être sur le fil de fer constitutionnel” parait être une création du journaliste, voulant exprimer une périlleuse hésitation, mais je ne suis pas persuadé qu’elle soit immédiatement intelligible par tous.

Je voudrais bien que des natifs du Québec partagent leur perception de ce titre qui me déconcerte…

1. Le 16 août 2012,
Ann O'Neem

Personnellement je ne comprends pas le titre, même après avoir lu l’article. Je pense que c’est plus dans le sens d’«être sur le fil du rasoir», mais pas sûr; l’article, bien que bref, est pénible à lire… surtout quand on ne s’intéresse pas à la politique québécoise.

En anglais, je dirais plutôt “to be on the fence” dans le cas d’une indécision, d’un choix difficile à faire. “On a wire” ça m’évoque plutôt une image d’oiseaux perchés sur un fil électrique.

2. Le 17 août 2012,
Nicolas B.

Je pense qu’il s’agit plus d’une image, celle de l’art du cirque du fil de fer que d’une expression. Dans ce cas l’interprétation de Laurent d’un périlleux équilibre est juste. Reste qu’effectivement, l’image est peu évidente et trop proche des expressions standards opur ne pas prêter à confusion.

3. Le 17 août 2012,
jrm

En tant que traducteur (français), j’y vois, comme c’est parfois le cas avec des textes canadiens (éventuellement écrits en français par des bilingues à penchant anglophone), un joli calque. Probablement à partir d’un titre ou d’un commentaire en anglais. En français de France, on chercherait à exprimer l’incertitude. Et on réécrirait complètement le titre.

4. Le 17 août 2012,
magoua

Je confirme qu’il s’agit du fil de fer de l’équilibriste, les questions constitutionnelles étant périlleuses dans un parti mené par un ex-indépendantiste et dont le gros des troupes est fédéraliste.

Blah ? Touitter !