Ça y est, c’est parti, le premier ministre a demandé hier la dissolution de l’Assemblée nationale. Les Québécois voteront le 4 septembre prochain, au terme d’une campagne électorale estivale d’un mois.
Ces législatives sont appelées “élections générales” et ont la particularité d’être uninominales majoritaires à un tour, ce qui est un héritage du régime britannique (le parlement du Québec garde beaucoup du système de Westminster).
Le mode de scrutin québécois favorise les grands partis, sans garantir pour autant d’obtenir une majorité claire, et il mène la vie très dure aux petits partis.
Le gouvernement en place n’a reçu l’appui que de 24% des électeurs inscrits. Entre abstention et système de scrutin, le second alimentant en partie la première, il se pose la question de la représentativité de l’Assemblée nationale et certains citoyens militent pour des proportionnelles. Sans partager toutes ses idées, de nombreux Québécois trouveraient dommage qu’un Amir Khadir du petit parti de gauche Québec solidaire n’obtienne pas un siège à l’Assemblée, il y va en effet de la richesse des débats et de la pluralité des points de vue.
Comme je risque de parler de ces élections pendant les semaines à venir, voici un petit panorama des forces en présence à l’usage de mes lecteurs hors Québec qui pourraient s’intéresser au sujet :
Parti libéral du Québec
Le PLQ est un vieux gros parti au Québec, il est acteur de la vie de la politique provinciale depuis la création de l’Assemblée en 1867 et il a dominé de 1897 à 1936 (une longévité exceptionnelle au pouvoir). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, il a donné trois premiers ministres : Jean Lesage, Robert Bourassa et le moins mémorable Daniel Johnson (intérim de Bourassa pendant 8 mois et demi).
Ce parti est centre-droit progressiste. Pour donner une image aux Français, le PLQ ressemble à la défunte UDF de Valéry Giscard d’Estaing. Mais sa particularité essentielle dans le contexte québécois demeure son fédéralisme.
Le parti a toutefois substantiellement changé depuis 1998 avec l’arrivée à sa tête de Jean Charest, de son vrai nom John James Charest, qui lui a donné une teinte plus à droite avec notamment une montée en force des idées néo-libérales. Jean Charest était auparavant sur la scène fédérale au sein des conservateurs, mais suite au gigantesque échec du parti progressiste-conservateur en 1993 (passé de 169 à 2 sièges), ses rêves de devenir premier ministre du Canada sont partis en fumée.
Replié sur la scène provinciale, il mène avec brio la campagne du PLQ en 2003 et devient premier ministre, mettant ainsi fin à neuf années au pouvoir du Parti québécois. Aux élections suivantes en 2007, l’irruption d’un troisième parti, l’Action démocratique du Québec, bouleverse la donne et fait perdre au PLQ la majorité à l’assemblée, mais il parvient cependant à se maintenir au pouvoir.
Cette situation de gouvernement minoritaire avec une assemblée tripartite étant politiquement intenable, Jean Charest déclenche de nouvelles élections en 2008. Il retrouve une majorité, bien que faible (66 sièges sur 125).
Jean Charest est un animal politique combatif et rien ne semble plus l’enchanter qu’une campagne électorale. Mais remporter un quatrième mandat aura tout d’une gageure tant son troisième mandat laisse de mauvais souvenirs.
Charest a déjà un problème avec l’électorat libéral traditionnel qui ne se reconnaît plus trop dans le nouveau PLQ (en gros, ils sont passés de VGE à Sarkozy…). Un indice de ce phénomène se trouve avec la dernière partielle dans la circonscription d’Argenteuil : le Parti québécois y a gagné avec moins de voix que lorsqu’il y avait perdu en 2008, juste parce que de nombreux électeurs habituellement acquis aux libéraux ont préféré l’abstention.
Ensuite, ce troisième mandat a été entaché par de nombreux scandales dans l’industrie du bâtiment et des travaux publics, avec des allégations de financement occulte des partis, et très notamment du PLQ. Le gouvernement Charest a trop longtemps résisté à l’inévitable instauration d’une commission d’enquête publique sur la corruption, ce qui fait penser au citoyen qu’il y a probablement des cadavres cachés dans les placards du parti.
Et de façon fort opportune, la “Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction”, nommée bien tardivement, ne reprendra ses travaux que le 17 septembre, deux semaines après les élections. De nombreux observateurs concluent que les élections ont été anticipées pour éviter qu’elles ne se tiennent dans le climat délétère instauré par une commission dévoilant au fil des jours de graves dysfonctionnements entachant la probité du parti au pouvoir.
Enfin, de nombreux Québécois, habitués au consensus, déplorent la gestion obtuse du conflit étudiant. Et ce conflit a eu l’effet inattendu de réveiller les jeunes de leur traditionnelle apathie politique ; ils sont désormais une force avec qui il faudra compter et qui n’est majoritairement pas favorable au PLQ.
Parti québécois
Le PQ (oui, je sais, ça fait toujours rire les Français) est un parti indépendantiste et centriste né en 1968. Il nait de la fusion de différents partis nationalistes, ce qui lui permet d’obtenir la taille critique pour la conquête du pouvoir. C’était avant tout la plateforme d’un seul homme, René Lévesque, plateforme qui le mènera au pouvoir en 1976.
En 1980, le PQ connaît son premier drame, l’échec du cœur du projet péquiste qui est l’accession à l’indépendance via un référendum d’autodétermination. La population répond “non” à 59,56 %. Lévesque part en 1985 mais le parti taillé à sa mesure y survit.
Il faudra attendre le retour au pouvoir du PQ avec Jacques Parizeau en 1994 pour que le référendum soit renouvelé et c’est là le second drame du PQ : un nouvel échec en 1995, certes plus serré qu’en 1980 (50,58% “non”), mais avec de désastreuses paroles de dépit de Parizeau : “Nous sommes battus, c’est vrai ! Mais, dans le fond, par quoi ? L’argent et des votes ethniques”. Il n’avait peut-être pas entièrement tort sur le fond, mais toute vérité n’est pas bonne à dire en politique, et la manière comme le moment sont capitaux. Parizeau quitte la vie politique et est remplacé par Lucien Bouchard, un technocrate caméléon au nationalisme mou, qui est passé du fédéralisme conservateur au souverainisme québécois. La question référendaire est mise au congélateur. On s’applique au “déficit zéro”, à dégraisser la fonction publique et à gérer les questions courantes.
Bouchard démissionne en 2001 et est remplacé par Bernard Landry qui échoue à ranimer la flamme péquiste et à décongeler la question référendaire. Le gouvernement Landry est balayé aux élections de 2003 qui voient l’arrivée au pouvoir de Jean Charest.
Bernard Landry est remplacé à la tête du parti par le fade André Boisclair qui fait sombrer le PQ dans les sondages jusqu’au point de laisser le titre de second parti du Québec à l’ADQ aux élections de 2007. Boisclair est alors remplacé par Pauline Marois.
Ce qui caractérise Pauline Marois est son opiniâtreté, on l’a maintes fois donnée pour affaiblie, voire politiquement morte, mais elle s’est toujours accrochée et a réussi à surmonter les obstacles à la surprise de ses nombreux adversaires, ce qui lui a fait gagner un respect mérité. Son principal handicap est, outre le fait d’être une femme, une image qui passe mal, y compris dans son propre camp, et ce dont les opposants profitent avec une joyeuse cruauté. Il faut mettre à son crédit d’avoir réussi à rebâtir le parti, le remettre en titre d’opposant officiel, et à faire oublier la parenthèse Boisclair.
Si Pauline Marois va bénéficier de l’usure au pouvoir des libéraux, elle est menacée par l’irruption d’un troisième larron qui remplace la défunte ADQ, la Coalition Avenir Québec. En outre, son programme (hormis battre les libéraux) manque de clarté et la question référendaire est laissée au congélateur (depuis 1995…), toujours dans l’attente des “conditions gagnantes”, concept imaginé par Lucien Bouchard.
Coalition Avenir Québec
La Coalition Avenir Québec est un tout nouveau parti, très vaguement souverainiste (si la question est au congélateur avec le PQ, elle est dans l’azote liquide avec la CAQ) , lancé en novembre dernier, qui fleure bon l’opportunisme politique et qui voudrait faire une razzia surprise de sièges à l’Assemblée comme l’a fait l’Action démocratique du Québec en 2007.
Le parti a été créé sur mesure par et pour son géniteur, François Legault, député qui a quitté le Parti québécois, car celui-ci n’offrait pas à l’homme la destinée que son orgueil lui disait mériter. Legault est avant tout un homme d’affaires et il gère sa carrière en tant que tel. Ainsi, il a décidé de fonder sa propre petite entreprise politique afin de mieux s’épanouir.
Pour l’instant, il a surtout parlé d’entreprise, de finances, de fiscalité, un peu d’éducation, mais le principal problème de son parti est l’absence de programme solide, il n’y a aucun socle idéologique. Le seul élément fédérateur, qui constitue le ciment du parti, est le personnage de François Legault lui-même, capitalisant ainsi sur la popularité du personnage. Un peu court.
En outre, il a commis un incroyable impair politique en votant aux côtés des libéraux la très décriée Loi 78. Pour rattraper cette bévue stratégique, François Legault va devoir beaucoup ramer pour se distinguer de la pensée libérale et devra taper fort sur Jean Charest.
Il souffre également de la difficulté de réunir des candidats solides, du genre qui ne twitte pas n’importe quoi avec un verre dans le nez.
Quoiqu’il en soit, la CAQ est la grande inconnue de ce scrutin.
Option nationale
Voilà également un parti récemment créé par un député partant du PQ, Jean-Martin Aussant. Il représente les nationalistes déçus du PQ, fatigués de voir que la question nationale est au congélateur depuis le référendum de 1995. Son positionnement est centre-gauche et son ambition limpide : faire accéder le Québec à la souveraineté. Tout son programme est construit en fonction de ce but ultime.
Il est vraiment difficile de prévoir l’avenir de ce nouveau parti sans grands moyens, mais qui brille par la créativité de sa communication.
Québec solidaire
C’est le parti de gauche, fondé en 2006, qui dispose d’un seul député, le célèbre Amir Khadir.
Niveau programme, c’est social-démocrate, très proche d’un Parti socialiste français, mais comme nous sommes en Amérique du Nord et que la gauche y est toujours vue de manière effrayante, les chroniqueurs n’hésitent pas à parler de péril rouge, de repère de communistes, trotskistes, staliniens, etc., et d’autres images qui font peur ici depuis au moins McCarthy.
De plus, étant donné les origines iraniennes de M. Khadir, certains sont persuadés que son agenda caché est de transformer le Québec en dictature islamique. Rien que ça… L’existence de Québec solidaire a au moins le mérite de révéler en plein jour la crasse bêtise de bien des politiques et chroniqueurs de droite.
Tout ce qu’on peut souhaiter à QS est de reconduire au moins Amir Khadir à l’Assemblée, et pourquoi pas un ou deux camarades de jeu pour qu’il s’y sente moins seul.
Selon un sondage mené en 2010, Amir Khadir était la personnalité politique préférée des Québécois. Cela a pas mal baissé depuis, mais il y a toujours un attachement de bien des Québécois pour le personnage (à défaut de voter pour son parti), et notamment de la part des jeunes, surtout après qu’il ait endossé à 100% le mouvement du “Printemps québécois”.
Parti vert du Québec
Aucune chance pour ce petit parti avec le système de scrutin actuel.
Le paysage politique vu par les Anglos
Résumé en une image du blogue Fuck Yeah Quebec :