Atelier “Je(u) de soi”
Ce mercredi, j’étais invité à intervenir à l’atelier “Je(u) de soi - Se mettre en scène dans le numérique”, à la Cantine, organisé dans le cadre du programme Identités actives de la Fondation Internet Nouvelle Génération.
Il s’agissait d’approcher la frontière entre pudeur et impudeur dans les réseaux sociaux du Net. Mon intervention devait plus tenir du témoignage d’une expérience que d’une tentative d’explication, pour illustrer la question : jusqu’où se dévoile-t-on en ligne et comment ? [Mais pourquoi donc pense-t-on à moi lorsqu’il s’agit d’impudeur ? ;-)]
Les autres intervenants étaient Sylvie Le Bars d’Arkandis et Francis Jauréguiberry, directeur du laboratoire SET (Société Environnement Territoire) du CNRS.
J’ai donc essayé de témoigner de mon parcours et de moments de dévoilement qui ont jalonné mon histoire sur le Web. Hubert Guillaud, alias Le Romanais a fait un blogage en direct (“live-blogging” pour les incultes) de grande qualité, que je reproduis ci-après (en me permettant quelques corrections de style, amendements et illustrations).
Ce ne sont pas mes mots tels que dits très précisément, mais cela rend bien de la tonalité générale de mon intervention. Donc, notez bien : ce qui suit ne peut être cité comme des déclarations que j’aurais faites, c’est le matériau brut d’un “live-blogging”. C’est la perception d’un spectateur muni d’un clavier :-) Un assemblage de bribes.
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On ne présente plus le capitaine, baron de la blogosphère française. Sur Embruns.net, ce blog hétéroclite, où les commentaires font tout le sel, son animateur est devenu une figure de proue de la provocation, de l’ambiguïté, de la polémique pour beaucoup, mais avec un vrai regard sur le monde et pas seulement sur les nouvelles technologies. Laurent Gloaguen, depuis 1996, fait entendre sa voix, dévoile sa personnalité, n’hésite pas à se mettre à nu, pas seulement physiquement, mais aussi, et surtout émotionnellement. Ses avis, ses réactions, les faits qu’il pointe, ses centres d’intérêt montrent un vrai talent de la chronique, un regard goguenard sur le flux de nos émotions. Comment gère-t-il sa notoriété blogosphérique ? Comment vit-il son jeu sur la pudeur et l’impudeur ? Voyage de lien en lien dans l’intimité d’un blogueur.
Laurent explique qu’il est entré en contact avec la publication sur le Web avec les pages personnelles. Son premier site s’appelait Le Monde de Laurent, né vers 1996. Il fallait savoir programmer, il n’y avait pas d’éditeurs visuels, il fallait beaucoup bricoler, uploader sur un serveur à 28 kbps, explique-t-il.
“Le Monde de Laurent”, circa 1996.
« Mais c’était pour moi être acteur sur l’Internet, avoir sa maison, son home sweet home. Le site était noir en raison du deuil de mon compagnon. Ses mots, ses poèmes que je ne voulais pas confiner au silence, mais donner à lire, au-delà du livre que j’ai publié. Je voulais partager une parole qui n’était pas la mienne. Sur ce premier site, il y avait des galeries de photos sur la mort. Et quelques bribes sur moi.
« Ce site a été très gratifiant. Il m’a apporté beaucoup de chaleur humaine, d’échange avec des gens qui ont eu des parcours similaires.
« La suite logique a été d’entreprendre sur le blog, fin 2002. Le blog est principalement apparu vers 2000, et en 2002 en France. L’avantage était d’avoir un CMS pour éditer plus facilement et d’éviter l’investissement technique.
« Je me suis beaucoup dévoilé en ligne. Sur mon blog, il y a plus de 6000 entrées depuis 5 ans. Je n’ai sélectionné que les exemples où je me dévoile, il ne faut pas que cela me résume non plus. [Les impudeurs de Laurent sont minoritaires rappelle Charles Nepote, mais elles sont régulières.] Mon blog parle beaucoup d’actualité et se divise entre des papiers plus travaillés, et un link blog, un espace de flux continu, parfois racoleur, mais intéressant au moins par les commentaires qu’il génère. J’ai un nuage de tag depuis un an et demi qui montre que la politique et la technologie sont les thématiques dominantes d’Embruns.net. Mon premier billet de décembre 2002 montre que je n’avais pas idée précise de ce qu’il allait devenir.
« Souvent on réagit à l’information. Les chaînes virales, les mèmes, sont une des premières manières de s’exposer, permettant de tisser des contacts avec d’autres blogueurs en répondant à leur appel. L’une des premières chaînes à laquelle j’ai répondu, c’était une qui appelait à montrer son environnement de travail. Des chaînes qui montrent des photos de soi, des déclarations d’amour…
« Mon blog est très textuel, ce qui fait qu’il n’est pas très spectaculaire, s’excuse Laurent en nous montrant des pages de son site. Il évoque la publication de vieux textes d’adolescence, explique comment on construit des pages à propos, pour dire d’où l’on blogue, ses passions, ce qu’on fait, ce qu’on est, ce qu’on mange, ce qu’on n’aime pas. La page à propos est souvent très utile pour dire qui est l’émetteur pour les utilisateurs occasionnels, pour ceux qui arrivent par un moteur, par un texte… En 2003, sont arrivés les diaristes, ceux qui publiaient leurs journaux intimes sur l’internet via l’outil blog. Utiliser le CMS non pas pour proposer des liens… J’ai appelé ça l’invasion des diarrhéeistes . Pour moi, à l’époque c’était un détournement de l’outil blog, mais c’est un avis sur lequel j’ai évolué. En réaction, j’ai créé le rapport de gendarmerie, bloguant, minute par minute tout ce que je faisais. Un rapport très ludique, car les commentateurs me répondaient dans le même style.
« J’ai souvent tendance à faire des choses un peu provocantes, un peu à froid. J’ai essayé de me créer une seconde identité, le capitaine Bonhomme, pour montrer qu’il y avait besoin de recul. J’ai vite abandonné cela, mais c’est pourquoi beaucoup m’appellent le capitaine.
« Publication de mes photomatons, de ma tête dans le scanner à plat. L’ambiance était guillerette, les commentaires plutôt drôles. J’ai donc mis mon cul en ligne. Les gens ont été surpris. J’avais déjà été provocateur, j’étais déjà un peu connu. Y’a-t-il de l’impudeur ? Qu’est-ce que je dévoile de moi ? Pour moi, l’impudeur ce n’est pas se montrer nu ou parler de sexualité. On dévoile beaucoup plus autrement. J’ai eu un repentir. J’ai flouté la photo, car on voyait mes couilles. Je n’ai pas de multiples identités comme Sylvie. Je n’ai pas de dispersion d’identité. Je blogue sous mon nom propre. Je suis lu par des lecteurs, ma famille, des clients, des collègues de bureaux… Je me mets en jeu sans paravent.
« C’est ça mon blog. Un coup mon cul, un coup un truc sur le droit à mourir dans la dignité.
« Exemple de blogoblues. À quoi bon, à quoi ça sert. C’est assez courant dans la blogosphère. On rencontre des râleurs professionnels, des gens qui ne vous aiment pas. Il n’est pas toujours facile d’affronter le regard de l’autre, qui n’est pas toujours bienveillant. Plus votre communauté s’élargit, plus vous rencontrez des gens malveillants surtout si vous parlez de choses un peu provocatrices. Annonce d’arrêt définitif. Grosses réactions. Mais cela n’a duré que 2 semaines. Et puis j’ai ressenti un manque. On se sent privé de sa voix. On a l’angoisse de se retrouver seul. Ça a été mon seul arrêt.
En 2004, dix ans après cette expérience de deuil, juste avant Noël, je me paye ma déprime. Le 3 décembre, je publie un billet de douleur. (J’ai mal). J’écris un cri de douleur. Je vis mon mal être en direct. Là, on rentre dans l’intime. Avec des gens qui m’ont suivi toute la nuit.
« J’ai joué avec mon image. Demain j’enlève le bas. Des gens ont cru que je n’allais pas le faire. Mais je l’ai fait. Et beaucoup de lecteurs ont focalisé sur le détail de la prise téléphonique anormalement haute. Un jeu qui a donné lieu à des parodies nombreuses.
J’ai beaucoup joué avec mon image, je l’ai scénarisée, je l’ai truquée.
« En 2005, le miroir qu’il vous tend :
“S’il y a parfois un problème avec le blogue, c’est le miroir qu’il vous tend. C’est vous, sans être vous. C’est une agrégation de facettes de votre personne, sans toutefois la résumer. Nul ne peut se targuer de me connaître en lisant mon blogue. C’est moi, sans être moi. Il n’y a cependant pas de fausseté, ce n’est pas un autre moi. Et c’est pourtant une représentation du moi dans laquelle j’ai du mal à m’identifier. Tout cela est bien étrange.
Je crois parfois qu’il y a même une certaine réflexivité, et que votre blogue et son lectorat vous façonnent. Votre blogue joue un rôle proactif dans votre construction intime. C’est une pensée un peu effrayante. Parce que cette activité, a priori anodine, entre de plain-pied dans votre vie, en est une partie constituante, et les interactions qu’elle engendre agissent indéniablement sur votre personne. Ce n’est pas une activité solipsiste, ce n’est pas un journal intime, c’est une confrontation quotidienne avec l’extérieur. Non, vraiment, cela n’a rien d’anodin.”« Encore des chaînes. Le contenu de son frigo. Que révèle-t-on de soi en photographiant le contenu de son frigo, mais en même temps, il y a une mise en scène, on soigne l’image de son frigo. 5 choses sur moi. Encore une chaîne ou j’ai révélé des choses très intimes, pour certaines douloureuses. C’est un billet suspendu. Des lecteurs m’ont dit que j’allais trop loin, que je me mettais trop en danger, que je dévoilais trop de moi, des choses qui pouvaient se retourner contre moi. Aujourd’hui, mes lecteurs me rappellent qu’il y a des choses que je ne peux plus faire du fait du succès, de l’audience. Je ne peux plus aller aussi loin qu’avant, car j’ai trop de spectateurs. Si je fais des conneries, même les médias généralistes peuvent les reprendre.
« Un journal du soir décrète que je suis un des 15 leaders d’opinion sur la toile. Comme quoi, montrer son cul n’est pas un handicap insurmontable, au contraire. L’intime, j’étais trop gros. J’ai perdu 10 kilos. On livre du physiologique. C’est une épreuve intime également.
Publier les photos de son mariage. Publier mes dernières volontés, qui n’en sont pas, car mon tiers de confiance c’est mon blog, mes lecteurs.« Je livre parfois mon intimité, mais certainement un peu moins qu’avant.
Sinon, mes envies du moment.
Questions? - « Pour suivre le blog, il faut avoir été là au moment où c’était, c’est un média de l’instant. Je suis content que ce soit enterré dans les archives. Sur le Web on passe vite à autre chose. Les facettes plus intimes créent une relation de bienveillance amicale avec les lecteurs. On ne bâtit pas la même relation avec les lecteurs. On m’apprécie car il y a de tout sur mon blog, du futile, des discussions sérieuses… Ce flux commun créé souvent des coq-à-l’âne involontaires, mais qui participent à la richesse du média. »
e-cédric
Etrangement, c’est très “brut” comme livraison. Presque “brutal” à recevoir. Et donc délicat à commenter. Mais pour moi c’est la véritable possibilité d’internet, cette absence de tricherie. Qui n’a rien à voir avec une quelconque fuite, bien au contraire.
Le reste, marketing, SL, google, etc., ce sont des foutaises de peine-à-jouir. Y compris d’ailleurs la “parole d’expert” que beaucoup préfèrent adopter (moi le premier, mais je suis un petit scarabée).
XIII
Très intéressant, cette rétrospective d’une douzaine d’années de présence sur la toile.
Je me rappelle très bien de la page d’accueil du Monde de Laurent… Comme si c’était hier ! :-)
Abstrait
J’aurais, au bas mot, passé une bonne demie-heure pour arriver au terme de ce billet. Je crois bien que j’ai cliqué sur chacun des liens mentionnés, et lu à chaque fois, les contenus et aussi une partie des commentaires. Et je me suis dit, putain (pardon d’être grossier), la retranscription de son témoignage arrive à point nommé. Je te suis depuis un peu moins de deux mois. Précisément depuis que je me suis moi-même lancé dans une modeste entreprise blogotique. Et au travers ce billet, je trouve très appréciable, pour les nouveaux venus, cette opportunité de pouvoir se projeter un peu plus dans ton univers et comprendre, humblement, un peu mieux l’atmosphère si particulière qui se dégage d’Embruns.
Je n’ai pas été réellement surpris par ce que j’ai lu, car dans le fond, la sensibilité qui ressort de ces anciens billets est toujours la même aujourd’hui… Je te remercie, mais d’autres le feront sans doute après moi, d’avoir offert cette petite séance de rattrapage aux nouveaux venus. On se sent un peu proche du truc au sortir de cette lecture, notamment parce qu’on comprend désormais certaine référence (le capitaine par exemple) et puis parce qu’on appréhende aussi mieux son taulier… Mais tout compte fait, il y a tout de même un truc qui m’a surpris… Dans ton frigo, il avait de la bière de clochard!
Allez, salutations!
GreG
C’est un billet très intéressant et je trouve également que c’est un sacré exercice que d’arriver à résumer la vie d’un blog qui perdure depuis autant d’années.
Il en ressort quelque chose de très cohérent alors que paradoxalement rien n’a jamais été prémédité. Je veux dire que tu as construit ce blog jour après jour, au gré de tes envies, mais sans jamais t’enfermer dans un domaine bien précis. J’avoue que j’ai du mal à mettre ton blog dans la catégorie “politique” tant il traite de sujets nombreux et variés, je le qualifierais plus de “blog de société”.
Quand je t’ai découvert il y plus d’un an, je n’ai pas accroché tout de suite, et pour moi tu faisais même partie de ces barons qui se contentaient la plupart du temps de relayer des articles ou d’autres billets, finissant ainsi tes posts par ton fameux via trucmuche ou via machin-chouette. D’autres dont je tairais le nom le font aussi, mais ils n’arrivent pas comme toi à susciter des réactions et des commentaires, et c’est cela qui me plaît finalement ici, cette façon que tu as de te mettre en retrait, de te taire, pour laisser les autre s’exprimer et ainsi échanger. De cette façon, on peut que s’enrichir en confrontant ses opinions et en profitant de la connaissance des autres.
En ce sens, Hubert Guillaud t’a bien cerné comme un vrai talent de la chronique.
Je comprends du coup pourquoi moi je n’ai pas pu tenir un blog plus de 6 mois, parce que je ne parlais essentiellement que de moi, avec toujours cette “obligation” contraignante d’une bonne rédaction, du choix des mots qui touchent ou qui font rire. Mais c’est chiant de toujours parler de soi, c’est chiant d’avoir toujours des commentaires qui vont dans ton sens (genre: t’as raison, tu m’as fait rire, génial, j’adore ton blog, je reviendrai, etc…) et d’y répondre systématiquement par politesse. A la finale, je me suis rendu compte que cela était stérile, pour moi et pour les autres, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de “vraies discussions”, juste un mec qui fait son monologue pendant que les autres l’écoutent.
Toi, tu construis ton blog comme un peintre fait sa toile, en changeant toujours de couleurs, de traits, de sorte que ce blog s’auto-enrichit, et c’est assurément la meilleure façon d’en faire un espace intéressant.
romain blachier
intéressant ce parcours historique
marie-hélène
J’ai assisté et, dans ce que tu as dit, une chose m’a frappée : tu as rappelé l’utilité de montrer que l’on entend la souffrance de l’autre, un minuscule signe plutôt que le silence. J’ai aussi été amusée par le billet sur tes dernières volontés parce que ce sont exactement les mêmes que les miennes. Merci pour ton intervention qui était remarquable.
Stéphane Deschamps
C’est intéressant, tes réflexions sur le rôle du blog.
Depuis que j’ai commencé, avec ta complicité et quelques autres, à faire le con sur une scène de temps en temps à marteler “les standards c’est bon, mangez-en”, mes visiteurs quotidiens ont quadruplé.
Et je me suis rendu compte que la censure est apparue sans préméditation. J’évite de donner trop de détails spécifiques sur le travail, je regarde ce qui met en danger ma famille, je modère mes propos (j’enlève un peu d’acide).
C’est difficile, finalement : c’est la sincérité, même partielle comme tu le soulignes, qui fait que les gens nous lisent ; et en même temps ce n’est pas complètement nous, mais certaines facettes, les plus “médiatisables”, que nous présentons, après un tri plus ou moins conscient au nom notamment de cette censure.
Bref, merci de cette retranscription.
PS : effectivement, de ce que je connaissais de toi à travers et de ce que je connais de toi dans la vraie vie, tu n’es vraiment pas le même. Comme quoi, même en signant de son propre nom, c’est quand même un avatar numérique qu’on se construit. Merci pour la vivacité de tes neurones.
Blah ?