La ressemblance était troublante et nous avons mis au moins deux minutes avant d’en être certains, peu aidés par une lumière assez faible. Nous sommes même revenus 10 minutes après, pour en être définitivement sûrs. L’animal que nous avons vu est une adorable petite chatte, mais pas du tout craintive comme la nôtre. En outre, son poil semblait plus doux et je n’ai pas reconnu son regard.
Le problème de cette visite à la SPCA, c’est que j’ai eu l’envie d’adopter au moins la moitié des chats présents. Je crois que j’ai été touché par le virus, une mémère à chats a dû me le refiler. Ça se soigne ? Ou encore cela n’était-il que le fruit du désordre émotif et serait par conséquent tout à fait transitoire…
Une seconde fois, mais là, ce n’est pas une escapade de deux jours, ça se prolonge. Nous ne l’avons pas vu depuis lundi matin.
Est-ce notre chatte ?
On a téléphoné au refuge, tout ce qu’il savent d’elle pourrait correspondre. Mais rien ne ressemble plus à un chat noir qu’un autre chat noir sur une petite photo de 360 pixels de large…
Donc, nous ne savons pas vraiment. Nous y allons demain vérifier. On vous tient au courant.
J’ai attendu. Minuit, une heure, deux heures… Cinq heures… le sommeil m’a vaincu.
Samedi, toujours pas de chatte. L’inquiétude est montée d’un cran. Pour nous rassurer, nous nous disions qu’elle avait déjà disparu pendant 24 heures alors qu’elle vivait encore sur le toit. Mais aujourd’hui, il y a la neige, les nuits sont froides. Pourquoi quitter le confort douillet de notre foyer ?
À chaque fois que nous passions devant la porte vitrée de la cuisine, nous regardions à la recherche de quelque signe pour conclure rapidement d’un haussement d’épaule, d’un soupir mélancolique. Rien. Tristesse et manque.
Dimanche, nous étions accablés par l’idée de devoir faire notre deuil de sa présence. Tous nos gestes et paroles étaient empreints de morosité. L’espoir devenait ténu. J’ai consulté les listes d’animaux arrivés dans les refuges, une illustration de la misère qui n’est pas réjouissante. Pas de moins 17 chats arrivés dans un seul refuge de Montréal pour la journée du 1er décembre.
Douloureuse absence. C’est là qu’on mesure combien on peut s’attacher, insidieusement, à ces petites bêtes.
Lundi, nous n’avions pas vu la minette depuis vendredi matin. Le désespoir faisait son chemin. Dans la neige et la sloche, j’ai arpenté les ruelles, les rues, les avenues. Je suis monté sur le toit glacé, d’où j’ai failli tomber, pour constater l’absence de traces animales dans la neige.
J’ai décidé de me rendre le lendemain au refuge de la SPCA, pour être sûr. D’autant plus que je venais de trouver cette mention : “Veuillez noter que cette liste en ligne des animaux trouvés est mise à jour aussi souvent que possible par une équipe de dévoués bénévoles. Cependant, étant donné nos ressources limitées, il nous est impossible de mettre en ligne tous les animaux se trouvant présentement dans notre refuge. Pour maximiser vos chances de retrouver votre animal, visitez notre refuge le plus rapidement possible et de façon régulière.”
La vie te fait parfois des cadeaux impromptus qu’elle te retire tout aussi soudainement sans préavis. Il ne faut pas chercher à comprendre. Juste savoir encaisser en limitant autant que possible les dommages.
À chaque fois que j’allais aux toilettes, je voyais la litière vierge, et les yeux me piquaient. Et partout dans la maison, il y avait les signes de sa présence passée.
Mardi, une heure du matin. Je suis au lit, mais je ne trouve pas le sommeil. Je pense à la chatte, j’imagine tous les scénarios possibles, ils sont nombreux et généralement tristes. Mon mari se réveille et va pisser, quand j’entends : “Oh, mais qui c’est qu’est là ?”. Kékette, qui attend qu’on lui ouvre la porte. On la caresse, on la flatte. Elle est semble-t-il en parfait état.
À la faveur de l’épisode de redoux, une grosse mouche noire a fait irruption dans la maison. Et comme par hasard, elle a choisi mon bureau pour y exercer ses vols concentriques sans autre destination que l’agacement des humains.
Peut-être sait-elle que je suis l’ami des bêtes et que jamais je n’écrase ne serait-ce qu’une mouche. Le 25 octobre dernier, j’en ai écrapoutillé une par erreur et j’ai encore mauvaise conscience.
Mais Dieu que ces insectes sont achalants, comme on dit icitte.
J’étais donc devant mon ordinateur, comme souvent, essayant d’ignorer dans mon champ visuel les passages du diptère quand Kékette est silencieusement apparue. Elle a immédiatement repéré l’intruse, s’est assise sur son postérieur au milieu de la pièce et, figée, remuant la queue d’un mouvement ample et lent, a longuement suivi du regard, comme hypnotisée, les évolutions aériennes de la mouche.
Au bout de cinq minutes, alors que j’avais oublié sa présence, la chatte a fait soudainement un bond d’au moins un mètre, me faisant sursauter. J’ai balayé la pièce du regard et j’ai tout de suite noté l’absence : plus de mouche.
Mais, la mouche était bien là, par terre devant la chatte, faisant de malheureux “bzzz bzzz”. Et pof que je te donne un coup de patte dessus. Et paf, que je t’envoie balader à droite, puis à gauche. Et… slurp, que je te mange. Ahaha…
Trois minutes plus tard, j’entends un horrible bruit de déglutition dans la pièce voisine. Ciel, ma Kékette ! Je me précipite, j’allume la lumière et… rien, à première vue. Je trouve la chatte planquée sous un fauteuil et j’essaye de comprendre ce qui s’est passé, quand je découvre sur le parquet une petite marre visqueuse dans laquelle surnagent trois ou quatre croquettes au milieu desquelles je ne peux ignorer le cadavre mouillé de la grosse mouche noire qui ne fera plus jamais “bzzz bzzz”.
Je veux bien qu’elle attrape des mouches— comment aller contre les lois de la nature — mais si c’est pour qu’elle les dégueule cinq minutes après…
Ce dimanche, nous avons eu avec les reliquats du système qui a meurtrièrement balayé le Midwest, beaucoup de douceur et de pluie. La vie s’est donc un peu réveillée au jardin, ce qui a permis à Kékette de nous déposer son tout premier cadeau sur le paillasson. Une offrande tout à fait vivante, un énorme ver de terre tout tortillant. Comme c’est adorable !
J’imagine que quand un chat vous fait un cadeau, c’est un signe d’affection. Et je le prends comme tel.
Après avoir vivement félicité mon héroïne chasseresse, je suis allé discrètement remettre mon présent dans son milieu naturel. Vivement le gel des sols.
Je me suis levé tard, après le départ de mon mari ce matin. J’avais un message :
Brièvement, je vous confirme que le chat est bien une demoiselle. Nous pouvons en effet désormais l’inspecter de près car la petite chatte a découvert le bonheur des caresses et ne s’en lasse pas.
Et je vais vous dire quelque chose qu’il vous sera difficile de contester : ma Kékette est la reine des chattes. Elle est si belle, si vive, si maline. Même mon mari en est raide dingue, il devient complétement gaga avec elle.
Mon mari a décidé d’appeler le chat “Croquette”. Mais je l’appelle “Kékette”, je trouve ça plus doux et mignon. À chaque fois, mon mari me fait les gros yeux.
Le chat a trouvé très vite la litière dans la salle de bains ainsi que son usage. Il nous laisse de beaux cacas et de gros pipis. J’ai voulu photographier le premier caca à la maison pour le bloguer, mais mon mari m’a fait les gros yeux et s’en est débarrassé.
Mon mari pèse les croquettes au gramme près pour une ration calorique quotidienne équilibrée. Régulièrement, j’en rajoute parce que je trouve que c’est vraiment chiche et que “Kékette” réclame. Maô, maô, maôoo. Mais je le fais en secret, comme ça mon mari ne me fait pas les gros yeux.
La vie du chat est ces temps-ci réglée comme suit : arrivée entre 19 h 30 et 20 h 15, se faire les griffes sur le paillasson avant de rentrer, miauler et se faire caresser, manger des croquettes, faire le tour de la maison et vérifier chaque pièce, profiter de longues séances de caresses et gratouilles sur le canapé pendant que nous regardons House of Cards sur Netflix, et le matin, se barrer entre 7 h 30 et 9 h — nous ne savons pas ce qu’il fait de ses journées.
Hier soir vers minuit, le chat était somnolent, bien tranquillement vautré dans le canapé. Je me lave les dents et je vais me coucher. Et alors que j’essaye de trouver le sommeil, l’enfer commence. Promenades dans la maison obscure en miaulant. Maô, maô, maôoo. Et que je viens sauter sur le lit et que j’en redescends dix secondes après. Et que je griffe l’édredon. Grands bruits de travaux publics dans la salle de bain, Minette vient de faire caca. Courses-poursuites avec des êtres imaginaires dans le couloir avec dérapages non contrôlés. Jeux divers dans le bureau. Maô, maô, maôoo. Schponk, saut d’une hauteur indéterminée. Schbroum, chute d’objet indéterminé. Saut sur le lit. Descente du lit. Bruits de croquettes. Etc. Etc.
Grr.
Et le matin, au tout début de l’aurore : “Maô, maô, maôoo”. Et la voix de mon mari dans la cuisine : “Et alors, elle a bien dormi la Croquette ?” Elle, peut-être. Moi, non.
Le chat a pris la décision de passer la nuit à la maison. Et pas n’importe où, sur notre lit…
Nous avons souvent ouvert la porte du jardin. “Tu ne veux pas sortir ?” Mais, non, cela ne le tentait pas trop. Faut dire aussi qu’il pleut et qu’il fait froid dehors.
Dimanche matin, réveillé à 7 heures par des miaous. J’essaye d’écrire un billet, mais ce n’est pas facile. Maô, maô, maô, miaou. Qu’est-ce tu veux, encore ?
Mon mari est parti dans la pluie aller acheter de la litière.
Il semblerait que Monsieur le Chat soit en fait une Mademoiselle la Chatte. Mais rien n’est sûr à 100%. Mon mari l’appelle désormais Miss Croquette. Pour ma part, j’oscille entre le chat et minette.
Le chat vient toujours manger à la maison, vers les 20 heures 15. Et revient plusieurs fois dans la soirée si on laisse la porte entrouverte. Il vient aussi le matin. Si le chat est en retard, nous sommes inquiets.
Le chat s’exprime beaucoup, il miaule en arrivant et réponds aux miaulements (oui, nous miaulons…). C’est un chat bavard.
Toutefois, il demeure extrêmement craintif. Même s’il s’autorise quelques familiarités, par exemple, sauter sur le comptoir de la cuisine.
Je suspecte la société Whiskas de mettre des substances illicites dans ses bouchées Temptations. Avec ces croquettes, le chat oublie temporairement ses craintes.
Mon mari prétend avoir réussi à le caresser un matin, mais comme je ne l’ai pas vu… Saint Thomas, tout ça…
Lorsque je me lève la nuit, il y a parfois le chat qui attend à la porte.
Le chat joue de temps à autre, mais seulement avec les mouches.
Ma nouvelle cachette sur les toits est parfaite, je suis désormais introuvable. Plus d’humains pour surgir à n’importe quelle heure du jour et me réveiller du sommeil des justes en faisant “minouminou gazougazou”, ou autre grotesque pitrerie. Enfin la paix… Même les ratons laveurs ont bien voulu admettre que mon royaume ne peut être conquis, que j’en suis le seul maître.
Cependant, il est très pénible que mes repas ne soient plus livrés à domicile pour une raison que j’ignore. Rendez-vous compte : je suis obligé de descendre pour chercher ma pitance, Moi, le roi des toits !
Ces temps-ci, je me lève vers les 19 heures, quand le soleil est couché. Après quelques étirements, je fais le tour de mes terres. Quand il est temps de me sustenter, je vais sur le bord du toit pour contrôler les alentours et cet étrange monde d’en bas. Ah, le jardin, je n’aime pas cet endroit humide. L’autre nuit, j’y ai fait une mauvaise rencontre, un gros vieux noir à chaussons blancs qui prétendait que j’étais sur ses terres. Nenni lui dis-je d’un coup de griffe. La situation a vite dégénéré et je dois avouer que j’ai dû abandonner le terrain. Bref, en attendant d’être plus fort et de régler son compte à cet horrible raminagrobis, je dois montrer la plus grande prudence dans cette jungle. Sans compter que je ne souhaite pas non plus essayer le parfum Madame Moufette.
Lorsque j’ai vérifié qu’il n’y avait aucune présence inquiétante, je saute dans le trou et descends l’échelle, lentement et avec beaucoup de précautions, car je me suis déjà lamentablement vautré à ses pieds. Le métal, ça glisse…
Je balaye du regard la terrasse de l’étage, qui ne présente d’ordinaire aucun intérêt, si ce n’est une chaise longue qui pourrait me servir l’été prochain, mais on y trouve jamais rien à manger. Puis, je descends l’escalier en spirale, là encore avec prudence, vers la terrasse du rez-de-chaussée qui est de fait mon nouveau restaurant.
Il y a de la lumière dans la maison. Devant la porte, un bol d’eau et un ramequin de croquettes… Hein ! Pardon, vous vous moquez. C’est tout ? Hier, il y avait croquettes et sardine ! C’est l’austérité, ou quoi ? Radins. Et le thon, ça fait au moins dix jours que je n’en ai pas vu la couleur !
Ces gens ne savent pas combien je chéris la régularité. Je hais que l’on change, sans aucunement me consulter, mon menu chaque jour. Et mon bon plaisir, c’est entrée, plat, dessert, autrement dit : sardine, croquettes et thon. Tenez-vous-le pour dit, sinon, je vais changer d’établissement.
Bon, on va quand même manger les croquettes… Scrounch. Scrounch. Oh ! La porte est entrouverte ! Étrange. Voyons voir, passons la tête… ça semble grand et confortable. Voilà bien une extension de mon territoire qu’il faut que je visite sans tarder. Je regarde à la ronde, pas de danger, juste le gros balourd que je connais déjà, affalé dans le canapé avec une tablette numérique. Je sais qu’il n’est pas dangereux. En plus, il ne bouge pas. Comme statufié, il me regarde avec un air d’écureuil électrocuté.
Aucun danger donc. Entrons d’un pas souple, mais décidé.
Ah, la cuisine à gauche, allons voir. Le lave-vaisselle est ouvert, mais hélas, c’est du propre. Rien à lécher. Enchaînons par le couloir. Une porte fermée, ça sent le moisi. Sans doute la cave, peut-être qu’il y a des souris… parce que dans le toit, y en a plus, héhé… Et là, c’est tout noir. Hmm, c’est une chambre. Et quelqu’un semble y dormir. OMFG, je n’ai jamais vu autant de poussière sous un lit ! C’est sûr, il n’y a pas de femelle ici. Il y a un truc clair sur le sol là-bas… Vivant ? Ah, non, c’est juste une chaussette abandonnée.
Poursuivons la visite. Salle de bain, je n’aime pas ce genre de pièce. Jolie l’ardoise au sol, mais c’est froid aux pattes. Chambre d’ami. Beau canapé, parfait pour moi. En plus, il a la couleur de mes yeux, très chic. Bureau. Oh, oh, oh, que vois-je… le jouet techno préféré de tous les chats, un Roomba !!! Yeah, bingo bitch! Hélas, il ne doit pas fonctionner trop souvent, vu ce que j’ai vu sous le lit…
Bon, j’en ai assez vu pour aujourd’hui. Sympa, mais je vais réfléchir. Peut-être quand il fera plus froid, nous verrons bien. Allez, bye. À une prochaine.
—
Putain, je suis sidéré, le chat est entré et a visité toute la maison… Tranquillement, comme s’il était chez lui.
Il n’était même pas venu souper. Le soir venu, j’avais longuement arpenté les toits qui étaient, sans surprise et malheureusement, tout à fait vides. Pas de petite tête se dressant derrière un muret pour m’observer, pas un signe, rien si ce n’est une désolante brise d’automne sur quelques arpents de graviers.
Pour occuper notre soirée mélancolique, nous avions parcouru des pages et des pages sur Petfinder — “Pourquoi pas adopter ?” — et regardé des vidéos de minous mignons sur YouTube (c’est dire quel était notre niveau de désespoir). C’est quand même fou comment on peut s’attacher vite à ces petites bêtes…
Mais hier mercredi, j’ai découvert que les croquettes que j’avais laissées dehors avaient disparu. Ce qui nous a donné un peu d’espoir, très tempéré par le fait qu’il y a bien d’autres amateurs de croquettes qui auraient pu passer par là, comme les ratons laveurs, la moufette ou encore d’autres chats.
Toutefois, maintenant devenu expert en traces animales, je ne voyais pas dans le ramequin vide les marques classiques du passage d’un raton laveur. La porcelaine était propre avec juste… attendez voir… vite… une loupe… oui, c’est cela : un poil noir ! (Le budget alloué à cette série ne nous a pas permis de faire des analyses ADN.) le poil noir de tous nos plus fous espoirs…
Il nous fallait en avoir le cœur net. Ne reculant devant rien, ou presque, nous avons donc installé un SVC, ou Système de Vidéosurveillance de Croquettes (en pratique, un iPhone collé sur la vitre de la porte de la cuisine avec une application de “time-lapse”).
Vers 23 h 30, alors que j’étais dans le canapé avec le iPad à pester sur iOS7, j’ai perçu sur le bord de mon champ visuel comme une ombre mouvante. Soudain aux aguets, tous mes sens aiguisés, je me suis dirigé à pas de loup vers la porte et j’ai vu un animal noir qui s’attaquait aux croquettes : le chat !
Mon cœur s’est emballé d’un coup. Le chat ! Le chat ! Le chat… Attendez… l’est bien gros ce matou…
Voyons voir… il a les pattes blanches… Tabarnouille, ce n’est pas le bon chat ! C’est le caïd poilu bien connu de la ruelle. Il bouffe toutes mes croquettes à une vitesse incroyable, et pisse deux coups sur mon paillasson pour marquer son territoire. C’en est trop, j’ouvre la porte d’un coup sec et le chat s’en va avec des miaulements menaçants.
[En image : un chat, mais ce n’est pas le bon…]
Faux espoir. L’accablement retombe sur mes épaules. Je remets des croquettes et je retourne insulter Sir Jonathan Ive dans mon canapé.
Toutes les 10 minutes environ, je me lève vérifier le niveau des croquettes, mais il n’y a rien à voir. [Mais j’ai raté quelque chose, voir en note à la fin.]
Enfin, vers 1 heure du matin, un nouveau mangeur de croquettes se présente. Aussi noir que le précédent, mais d’un plus petit gabarit et je reconnais tout de suite les oreilles : mon chat !
Petit fripon ! Yeah !
[En image : un chat, et cette fois-ci, c’est le bon…]
Tapis dans une zone d’ombre de la cuisine, je l’observe longuement manger ses croquettes quand, soudainement, il se redresse, regarde dans la nuit et fuit d’un trait dans l’escalier de fer qui va à l’étage. J’ouvre la porte et je sors pour comprendre la raison de sa peur. Alors que j’entends au-dessus de moi le bruit du chat dans l’échelle qui mène au toit, un autre bruit vient de ma gauche : c’est le chat aux pattes blanches qui revient, et c’est sans doute lui qui a fait peur à mon chat.
Le gros chat paraît surpris de découvrir ma présence en ce lieu à cette heure et s’enfuit comme une flèche par la terrasse du voisin, bousculant maints objets sur son passage. J’entends un vacarme qui doit correspondre à la chute d’un bac de recyclage et de pots de peinture. Une lumière s’allume. Remue-ménage et sacres. J’éteins toutes les lumières et m’éclipse discrètement.
Retranché en planque dans l’obscurité de la cuisine, j’attends, surveillant l’escalier par la fenêtre. Au bout d’une dizaine de minutes, je vois mon chat qui redescend prudemment. Je me déplace sans bruit et l’épie discrétement alors qu’il est retourné aux croquettes.
Au bout d’un moment, le chat rassasié s’assied sur la terrasse et balaye du regard les alentours.
J’ai alors l’idée d’entrouvrir la porte. Surpris, le chat recule d’un mètre et s’immobilise. Je vais me terrer dans le canapé et j’attends. Après quelques minutes, à la seule lueur de la lune, je vois le chat entrer dans la maison, extrêmement lentement et précautionneusement. Il regarde en tous sens, va renifler une paire de chaussures qui traînait, puis, ayant sans doute jugé qu’il avait sa dose d’inconnu pour ce jour, il se retourne d’où il était venu. Mon cœur bat la chamade. Je me lève et je vois le chat monter tranquillement l’escalier de fer extérieur.
Quelle nuit.
Donc, le chat est toujours là, mais je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où il se cache désormais le jour.
—
[Note.] En fait, j’avais loupé quelque chose que j’ai découvert ce matin sur les images de mon SVC, j’étais observé :
[En image : alors que je vérifiai les croquettes avec une lampe de poche, le chat m’observait dans l’ombre, mais je ne l’avais pas vu.]
Hier soir vers 22 heures, le chat était sur le toit comme à son habitude lorsque j’ai monté la ration de croquettes, m’observant de loin. J’ai attendu un moment, mais il faisait un peu froid, alors je suis parti.
Aujourd’hui, le chat a disparu. Il n’est pas dans le comble où il avait élu domicile, et le plus inquiétant est qu’il a à peine touché aux croquettes. J’ai longuement exploré les toits, tous les recoins possibles, même fouillé le jardin et la ruelle, mais, rien. Aucune trace du chat. Le mystère est total, et je dois avouer que je suis un peu attristé.
Ceci est donc, probablement, le dernier épisode de la saga.
Nous avons installé l’échelle en bois (celle que nous avions construite pour secourir M. Le Chat qui s’était mis dans une situation délicate) dans l’ouverture permettant d’accéder au toit.
Le chat en a fait usage dès la première nuit, et a ainsi établi domicile dans le comble du toit de la terrasse de M. Voisin-de-l’étage. C’est-à-dire, pour ceux qui suivent, à l’endroit même où j’avais rencontré pour la première fois M. Raton-Laveur (épisode 11).
[La photo n’est pas terrible, mais même en plein jour, l’endroit est vraiment très sombre. Je ne suis pas sûr que la bête apprécie un bon coup de flash dans les mirettes…]
L’emploi du temps de M. Le Chat est présentement le suivant : roupillons dans un coin du comble, du lever au coucher du soleil, et promenades sur les toits pendant la nuit (un vrai chat de gouttière). Bien entendu, il attend toujours avec impatience sa livraison de croquettes en début de soirée. Je crois même saisir une lueur de reproche dans son regard lorsque je monte un peu tard.
Vendredi soir. Sous la pression de mon mari et de M. Voisin-de-l’étage, j’ai fermé l’accès au comble, profitant que le chat était en vadrouille deux toits plus loin. Il s’agit d’éviter qu’une tribu de ratons laveurs vienne s’installer chez nous pour l’hiver.
Samedi matin. Pas de signe de vie du chat. Rien. Nada. Étrange. Il n’a sans doute pas apprécié son éviction hier et la cabane que je lui ai construite ne semble pas l’avoir intéressé.
Samedi après-midi. J’ai l’idée de regarder dans la rue et j’aperçois le chat, trois maisons plus loin, sur l’auvent en métal d’un balcon.
Merde, qu’est-ce qu’il fiche là ?
En plus, le fronton de brique de cette maison est assez haut, ce qui me fait douter des capacités du chat à se sortir d’affaire par ses propres moyens. Connard de chat.
Samedi soir. Le chat n’a pas bougé, il semble bel et bien prisonnier. Parfois, il regarde l’arbre, semblant évaluer les possibilités de sauter dedans, ce qui me paraît une bien mauvaise idée. À l’aide d’une corde, je descends le piège en métal sur ce toit.
Jusqu’à deux heures du matin, je monte voir toutes les heures, mais le chat est toujours à côté du piège, pas dedans. Je passe une nuit difficile. En plus, je culpabilise, car je me dis que si je n’avais pas bouché l’accès à son antre, il ne se serait probablement pas mis dans cette situation.
Peut-être a-t-il sauté là pour se mettre à l’abri des ratons ? Allez savoir ce qui se passe dans la caboche d’un chat…
Dimanche matin. Le chat est encore sur le toit de tôle. On remonte le piège, qui ne s’est pas déclenché, mais qui est vidé de son thon. Décidément, cette trappe est complètement inefficace avec ce chat.
Je fabrique avec M. Voisin-de-l’étage une échelle en bois, nous la mettons en place et l’arrimons avec une corde (évitons si possible qu’un passant reçoive un chat et une planche sur la tête).
Ça fonctionne parfaitement. Le chat arrive à remonter par l’échelle, et… va se planquer dans une cheminée.
Argh !!!
Je consulte les recettes de pâté de chat pour me détendre. On me donne de précieux conseils sur Twitter.
À potron-minet, le toit s’est transformé en bruyant pandémonium. Cris, invectives, cavalcades, gravier qui vole…
Raison de ce tumulte : un sans-domicile fixe, M. Raccoon, a expulsé M. Le Chat de ses appartements pour les squatter.
M. Voisin-de-l’étage, interrompu dans son petit déjeuner par le charivari au-dessus de sa tête, est monté sur le toit, armé de son courage et d’un appareil photo. Ce qui nous permet d’avoir quelques images du drame.
Dans l’entrefaite, M. Écureuil est arrivé, lui aussi en tabarnaque pour une raison que nous ignorons, exprimant sa fureur par des imprécations perçantes et des courses désordonnées sur le toit.
Pendant ce temps, M. Faucon faisait des boucles dans le ciel, très intéressé par ce remue-ménage, mais hésitant encore sur la nature de son déjeuner.
La présence de M. Voisin-de-l’étage a remis un peu d’ordre dans cette pétaudière. M. Raccoon aurait abandonné le terrain, M. Le Chat regagné ses appartements, M. Écureuil retourné à son activité favorite (l’effeuillage de frêne) et M. Faucon est parti en direction, semble-t-il, du Tim Hortons sur Saint-Laurent.
[M. Le Chat, manifestement en pétard de son éviction aurorale.]
[M. Raccoon a mangé trop de glace Coaticook cet été, son postérieur passe difficilement.]
[“Moi aussi, je suis cute vous savez…”]
[M. Le Chat, dépité et furibard, abandonne le terrain.]
Sinon, est-il vraiment utile de préciser que mon piège n’a pas fonctionné ?
(J’ai retrouvé la trappe fermée, mais il y avait encore le thon à l’intérieur, ce que je considère comme un genre de progrès par rapport au piège précédent. Tout me porte à croire que le chat a passé sa tête par la trappe, mais s’est abstenu d’entrer malgré la tentation du thon.)
Pour ceux qui me demandent des explications sur Twitter : à droite, c’est une plaque de Plexiglas, c’est la vitrine du restaurant, elle me permettra de voir s’il y a un client en salle. À gauche, les aimants verrouillent solidement la trappe quand elle retombe.
Oui, je sais, le carton n’offre pas la meilleure résistance à un fauve déchaîné. Mais c’est du double épaisseur et je serai régulièrement dans les parages.
Un très court billet pour vous dire que tout s’est bien passé hier soir, que le chat est venu manger à côté de moi, si ce n’est que nous avons été interrompus par l’irruption soudaine, non pas d’un, mais de deux ratons laveurs qui venaient par le grand frêne.
Le chat s’est précipité dans son trou et je suis allé chercher un balai, au cas où l’un d’entre eux sauterait d’une branche pour s’attaquer aux croquettes du chat. Quand je suis revenu une minute plus tard, ils étaient partis, sans doute gênés par ma présence et ma lampe torche. Les ratons détestent le bruit et la lumière.
L’agilité de ces animaux dans un arbre est stupéfiante. Il ne faut vraiment pas se fier à leur allure un peu lourdaude.
Cela étant dit, je suis venu vivre dans une grande métropole, à 300 m d’une station de métro, et je suis entouré d’écureuils, de faucons, de ratons laveurs, de moufettes, sans compter une étonnante diversité entomologique (notamment chez les arachnides). Je n’étais pas prévenu. Et il paraît qu’il y a aussi des castors, coyotes, renards, marmottes, lapins dans la ville…
17 h 00. Je vais armer le piège sur le toit que j’appâte encore avec du thon à l’huile. On dit jamais deux sans trois… Cette troisième fois sera la bonne, je le sens, j’en suis certain.
Je fais fi des moqueurs douteurs sur Internet :
Ahaha, tout à l’heure, c’est moi qui vais bien rire de vous, bande de sarcastiques sceptiques.
18 h 00. Mon mari va vérifier le piège, rien.
19 h 30. Mon mari va voir à nouveau, toujours rien à signaler.
20 h 30. À mon tour de monter. Le piège est là, toujours armé, mais le thon et mes espoirs ont disparu.
RROGNTUDJÛ… (Juron bruxellois.)
Ce fieffé coquin va me faire tourner en bourrique. Je braie ma déconvenue d’un sonore hi-han.
22 h 00. J’ai encore une fois pitié du rebelle et je monte un ramequin de croquettes “Mélange du Chef”. La bête est là, sur son séant au pied de l’aération. Comme si elle attendait.
Je ne sors que le haut du torse et pousse à bout de bras le ramequin sur le toit, à une cinquantaine de centimètres de mon trou. Au lieu de partir, je reste là et j’attends. Les minutes passent. Le chat ne bouge pas, son regard tantôt sur moi, tantôt sur le ramequin. Je sens le chat habité par le dilemme, et sans doute par la faim.
« Tu sais, enfin non, tu ne sais pas, mais je te l’apprends, je suis breton. Donc, je ne céderai pas, je suis têtu comme une mule. Tu viens bouffer les croquettes pendant que je suis là ou je repars avec. »
Le temps passe, et je commence à avoir un peu froid. L’automne se fait déjà sentir. De plus, ma situation, perché sur l’échelle, n’est pas des plus confortables. Je décide donc d’essayer autre chose : je tourne le dos au félin, et fais comme si je ne me préoccupais plus du tout de lui. Au bout d’une minute, dans le silence de la nuit, j’entends derrière moi un discret “crunch” qui correspond tout à fait à l’idée que je me fais du bruit émis par une délicate petite croquette écrabouillée par les crocs acérés d’un fauve affamé.
Je ne bouge pas. Crunch, crunch. Je souris intérieurement, j’ai gagné. Je me retourne doucement, le chat a la truffe dans le ramequin. Crunch, crunch. Il lève la tête, me regarde, s’immobilise. Puis retourne à sa pitance. Crouich.
De cette expérience, j’ai appris une chose sur les chats, enfin sur ce chat en tout cas : ça ne mange pas vite. Pas comme un chien qui bâfre le contenu de son écuelle en quelques bouchées à peine mastiquées. Crunch, crunch. Pause. Crunch. Pause. Crunch, crunch. Pause. Etc.
Mais oui, mon coquin, prends tout ton temps… nous avons touuuuute la nuit devant nous.
Puis, et ce n’est pas trop tôt, le chat juge qu’il a assez mangé, recule d’une vingtaine de centimètres, s’assied, et se lèche consciencieusement les babines. J’attrape le ramequin pour voir ce qui reste dedans, quelques croquettes éparses. « Merci qui ? Malpoliche. » Pas de réponse. Je pars alors chercher de l’eau fraîche. À mon retour, le chat est couché à côté de l’aération. Je lui souhaite une belle nuit et m’éclipse.
22 h 32. Je suis impatient de narrer le détail de mon expédition à mon mari. Il roupille déjà devant la télé. Je le réveille, et devant ses yeux pleins d’étoiles, je brosse le récit épique de l’avancement de mon intrépide domptage de fauve, l’histoire dont je suis le héros.
Juste une brève mise à jour pour vous donner le résultat du piégeage : l’ostie de bête noire a réussi à aller bouffer le thon dans le piège sans le déclencher !
Je n’ai pas vu le chat pendant deux jours. Et les croquettes sont restées intouchées. J’ai refait une exploration avec la caméra, mais je n’ai rien vu sur la vidéo, juste un comble désert et poussiéreux. Aucun signe de vie. Autant dire que je me suis un peu inquiété pour la bestiole.
Trois hypothèses ont été échafaudées : le chat est mort, ou le chat est terré dans un recoin du toit inaccessible à la caméra, peut-être blessé, ou encore, le chat a fui je ne sais où affronter d’autres dangers.
Cette nuit, la mort dans l’âme, je suis monté sur le toit une nième fois, presque sûr de ne rien trouver. Et, là, à côté de la bouche d’aération la plus éloignée, les yeux du chat luisaient à la lumière de ma lampe. Ouf. Je crois qu’il n’a pas du tout apprécié la visite du raton laveur dans son antre et qu’il est resté planqué dans un recoin de la charpente, quitte à ne pas manger ni boire. Il m’a aussi semblé encore plus craintif qu’à l’ordinaire.
En début de soirée, j’armerai le piège avec un peu de thon à l’huile.
Lors de ma visite du midi sur le toit, j’ai observé que les ramequins vides étaient sales, pleins de traces noirâtres, avec même un peu de gravier au fond, ce qui n’est pas dans l’habitude du chat qui a tendance à les laisser comme s’ils sortaient du lave-vaisselle. Bizarre.
Le voisin de l’étage m’informe qu’il a entendu du bruit dans le toit qui couvre sa galerie. Le chat a peut-être déménagé dans cet espace, ce qui est une bonne nouvelle, car c’est plus petit et plus accessible pour l’homme. Armé d’une lampe torche, j’explore ce comble par son unique ouverture qui donne dans le local où se trouve l’échelle qui mène au toit de la maison.
Je vois une boule de poils foncés dans un coin, à trois mètres de moi. Le chat !
Minou, minou ! Une tête émerge lentement de la boule de poils. La bête vient visiblement de se réveiller et me dévisage de façon qui me paraît peu amicale. Force m’est de constater qu’il ne s’agit en rien d’un chat, mais d’un nouveau squatteur : un gros raton laveur. Zut.
Nous avons réussi à le faire partir en tapant sur le plafond de la galerie avec un balai. Ce qui m’a permis d’observer comment ces animaux sont habiles et peuvent grimper une échelle avec une déconcertante aisance, malgré leur allure pataude. Il a fui par les toits, mais le temps que j’arrive, il avait disparu je ne sais où.
L’existence de ce raccoon qui rode rend caduque mon idée de maison pour chat sur le toit, ne serait-ce que parce que l’animal vole la bouffe du chat… Il faut aussi savoir que les ratons laveurs peuvent occasionnellement attaquer et même tuer les chats. (Ce qui peut, comme très récemment, rendre les humains fous.)
Il devient donc nécessaire de piéger le chat, pour qu’il ait de quoi manger et pour sa sécurité.
Le seul problème est de savoir ce que je vais retrouver dans le piège, un chat ou un raton-laveur ?
C’est sûr, ce n’est pas à Paris que j’aurais vécu toutes ces aventures. Quand j’aurai le temps, je vous parlerai de l’odorante mouffette qui fréquente le quartier.
P.S. Maudite marde, j’ai vu le raton-laveur entrer dans le trou du chat.
P.S. bis. Photo de notre nouveau squatteur, prise par le voisin de l’étage :
Ça fait un moment que je ne vous ai pas donné de nouvelles du chat, je manque à mes devoirs de blogueur.
Le blocage de l’aération la plus éloignée, relatée dans notre précédent épisode, a été finalement un progrès dans ma relation avec le chat. Il s’est tout à fait habitué à la nouvelle configuration, ça lui a pris 24 heures. Maintenant, je peux l’approcher à moins de deux mètres. Mais si je tente d’avancer plus, il rentre immédiatement dans son trou.
Pour l’habituer au son de ma voix, et comme je n’ai pas grand-chose à raconter à un chat, je me suis mis à lui chanter sous le clair de lune. Tout mon répertoire y passe… On l’aime bien, Nini Peau d’Chien, elle est si bonne et si gentille…, Dans les prisons de Nantes, y avait un prisonnier…, Ce n’est que le petit bout de la queue du chat qui vous électrise…, Scoubidou bidou, j’ai du poil à la quéquette…, C’est une maison bleue accrochée à la colline… et autres extraits de mes grands succès. Le chat me regarde, bon public. Il ne me juge pas, lui. Et je suis assez vieux pour savoir que le ridicule ne tue pas (d’autant plus que le chat est — j’espère — mon unique spectateur).
Le prochain objectif est d’arriver à lui bloquer son accès au comble, ce qui n’a rien d’évident, car ces derniers jours, le chat était toujours à proximité du trou. Il faudrait que je surgisse l’un des rares moments, toujours nocturnes, où il est parti en ballade sur les toits voisins. Il faudra aussi qu’il accepte le genre de cabane que je lui propose comme hébergement alternatif. Pour l’aider un peu, je me suis procuré du Nepeta cataria, et du biologique s.v.p.
[La drogue, c’est mal.]
On me demande quel est le sexe du chat. Contrairement à certains garçons que j’ai connus qui étaient assez rapides en la matière, le chat n’en est pas encore à lever la queue et me montrer son trou du cul. Il est soit perché sur le conduit d’aération, soit assis sagement sur le gravier, me regardant. De plus, comme nos entrevues sont généralement nocturnes, je perçois mal les détails. Je vais supposer que la bête est un mâle.
Côté alimentation, il mange son ramequin de croquettes quotidien et il semble un peu remplumé. Parfois, il a le droit à une sardine à l’huile, ce qu’il semble beaucoup apprécier.
Pas de nouvelles importantes à rapporter, la situation stagne. Aucune évolution dans le comportement de la bête. C’est un peu décourageant.
Sur une idée de mon mari (je suis contraint de le préciser, car il lit mon blogue, mais comme, en fin de compte, l’idée qui paraissait excellente n’a pas, dans sa concrétisation, récompensé les espérances suscitées, je n’ai aucune tentation de vouloir m’accaparer la stratégie en la présentant implicitement comme mienne), j’ai fermé la bouche d’aération utilisée par le chat et ouvert la seconde qui est proche de mon accès.
L’effet escompté ne s’est pas produit, cela n’a permis aucun rapprochement avec le chat. Pire, le chat surpris dehors ne reste plus prudemment à côté de son trou comme il le faisait, il fuit maintenant à plusieurs toits de distance dès que je mets pied sur le toit.
[Piège à double entrée de marque Havahart.]
On m’a apporté l’engin ci-dessus aujourd’hui. Outre le fait que le truc a failli m’arracher un doigt pendant que je tentais de comprendre comment on l’armait, je trouve ça un peu violent comme appareil. En outre, je suis tout à fait sceptique sur la propension de ce chat, même affamé, à bien vouloir entrer dans cet étroit machin. Enfin, j’ai bien peur que sa queue se retrouve coincée par le volet de la trappe, ajoutant au traumatisme de la capture par piégeage.
Il me faut penser aussi à l’avenir. Une fois le chat capturé, qu’en faire ? Le donner au foyer le Berger Blanc ? C’est l’assurance qu’il sera tué dans les 24 h, dans des conditions qui me feraient préférer me charger moi-même de la tâche. À la SPCA, je doute un peu qu’un chat noir qui n’est absolument pas sociabilisé trouve un adoptant (mais vous pouvez tenter de me rassurer), et la fin sera probablement identique, même si plus tardive.
Bref, ce chat, qui a fait irruption dans ma petite vie, m’emmerde.
—
P.S. Le voisin a bien voulu faire le cobaye et mettre sa main sous la trappe quand le piège se déclenche. Verdict : si la queue du chat se trouve coincée, ça ne fait pas vraiment mal, mais la trappe ne se verrouillera pas.
Je grimpe sur le toit dans la matinée, le chat est invisible, planqué dans son antre. J’observe invariablement qu’il a mangé presque toutes les croquettes et bu un peu d’eau.
Le petit branleur reste toute la journée dans le toit. Il ne sert donc à rien d’y monter.
Le monsieur sort vers les 17 heures 30 quand le soleil est sur le déclin, fait une courte promenade sur son royaume de gravier, puis va se coucher au pied du conduit d’aération. Une vie très fatigante, assurément.
Je monte passer la tête aux environs des 18 heures. Nous jouons au jeu du “vu, pas vu”. Au bout de quelques minutes, je peux m’asseoir sur le rebord du toit, mais si j’entreprends de me lever et marcher dans n’importe quelle direction, le chat disparaît en une seconde. Alors, je reste sur ma frontière.
C’est au début de la nuit que je monte une dernière fois pour remettre à niveau eau et croquettes qui sont maintenant placées au pied de la cheminée, opération qui entraîne systématiquement la disparition du chat dans son trou. Je lui parle cependant avant de partir : “Bonne nuit, couillon !”.
“Encore toi ?”
“Je te tourne le dos, tu ne me m’intéresses plus.”
“Oui, mais si, un peu quand même.”
11 h 27. L’huile d’olive, que l’on m’a suggérée, ça ne marche pas. Sauf pour attraper les mouches.
8 h 42. Le voisin de l’étage est persuadé que le chat vit là depuis longtemps. “Tu sais quoi ? Je pense que le chat est là depuis ce printemps au moins. J’entendais des bruits bizarre au plafond, même la nuit. Et bien… je viens de les réentendre.”
Ce serait quand même bien extraordinaire. De l’eau, il y en a de temps en temps, des petites flaques après la pluie, mais je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de sources de nourriture.
9 h 37. Le saumon a disparu. Il reste des croquettes. Dois-je déceler une préférence ? Pas vu le ti yable noir.
11 h 11. Le chat noir me rappelle le midship au clairon sur le Fleuve, le Crabe-tambour qu’on l’appelait, mais son vrai nom, c’était Willsdorff, un Alsacien.
Je me souviens de lui, assis dans son fauteuil de mandarin sur le toit d’un LCVP, dirigeant les patrouilles, son inséparable chat sur les genoux. “Sâle bête ! Sans Dieu ni maître — toujours à dormir le jour, à vadrouiller la nuit — et il vous engueulait, il vous miaulait des insultes quand vous lui marchiez dessus dans l’ombre — vous pensez : tout noir !” racontait le médecin de la base navale.
Willsdorff disait que le chat, ce “fils de Satan” était sa conscience. “Comme tu peux voir, elle est toute noire… et pas si jolie à regarder.”
On dit qu’on l’a vu boire à la Morue joyeuse à Saint-Pierre, avec son chat. Mais ce n’était plus le même chat noir, trop d’années avaient passé. Les consciences, ça se remplace.
18 h 16. Je crois que j’ai réussi à communiquer avec le chat. Enfin, communiquer est un bien grand mot. Nous avons cligné des yeux à distance en nous regardant.
J’ai sorti la tête de mon trou, et, inhabituellement à cette heure, le chat était dehors, couché au pied de la cheminée d’aération. J’ai fait semblant de ne pas le remarquer, regardant de tous côtés. Puis nos yeux se sont rencontrés, il n’a pas bougé. J’ai cligné des yeux lentement (suivant les précieux conseils de mes commentateurs) et… il a fait de même. J’ai continué le petit jeu une bonne minute et je me suis éclipsé discrètement. Le chat n’a pas fait mine de rentrer dans sa cachette, restant tranquillement allongé, ne bougeant que la tête. Nous progressons, n’est-ce pas ?
12 h 00. Suite à l’échec de la vidéo d’hier, j’ai attaché la mini-camera avec du gros ruban adhésif à une lampe-torche afin d’explorer le comble à bout de bras.
Voyez-vous un chat, vous ?
17 h 45. Opération grande séduction en cours :
18 h 10. Mouais… Avez-vous déjà passé 10 minutes le bras dans un trou d’un toit avec un morceau de saumon frais dans la main en disant “minou minou” ?
Moi, oui.
L’opération est un échec. Et, en prime, je me suis fait attaquer par des guêpes qui semblaient tout à fait fascinées, elles, par l’odeur du poisson. J’ai dû faire un mouvement de repli vers mon trou. Mais je ne me déclare pas vaincu.
En me réveillant, je suis un peu tout cassé. Le dos surtout. Je ne devais pas être préparé à toutes ces séances d’alpinisme quotidien.
Oui, c’est déjà le quatrième jour de cette aventure…
9 h 10. Le chat a mangé les croquettes, mais a ignoré le yogourt. Il a bu beaucoup d’eau.
10 h 17. J’ai essayé à nouveau avec la caméra HD, avec les batteries chargées cette fois-ci :
À ma grande déception, il fait bien trop noir dans le comble pour que la caméra saisisse quoi que ce soit. J’essaierai à nouveau en fixant une petite lampe de poche à la caméra.
10 h 32. Je renouvelle le bol d’eau.
11 h 30. Je dois partir, nous avons des courses à faire, chez Home Depot, au Dix30, etc.
17 h 30. Rentré. Crevé. Nous sommes même allés au CostCo… Il est temps d’aller sur le toit.
18 h 18. J’ai bien fait de monter avec mon appareil photo. Je sentais que certains commençaient à douter de l’existence de ce chat…
22 h 30. J’ai fait une livraison nocturne de croquettes et d’eau fraîche. Le chat était chez “Voisin 2” mais, en moins de 3 secondes, il était déjà juché sur la bouche d’aération, m’observant. Dès que j’ai fait mine de sortir de mon propre trou, le petit yable rentrait dans le sien…
9 h 26. Première visite sur le toit. Aucun chat en vue, mais toutes les croquettes ont disparu. Plutôt bon signe.
[Croquettes envolées pendant la nuit.]
10 h 37. Rien à signaler. Pas d’ostie de chat.
[Accès au toit.]
12 h 20. Temps variable. Faible brise de nord-ouest. Toujours pas de signe de vie sur les toits.
14 h 39. Il y a eu une courte averse. Je monte un ramequin de croquettes “Mélange du Chef” sur le toit. Je jette quelques croquettes dans le trou.
Mais, rien.
Je m’assieds sur le toit et je regarde les nuages. Je crois que je m’inquiète pour la petite bête.
[Ciel après l’ondée.]
Il y a quelques jours, j’ai observé un faucon émerillon au-dessus du jardin. J’imagine qu’un jeune chat noir sur un grand toit clair serait une proie visible et facile.
Il est presque 15 heures et je n’ai toujours pas vu le chat aujourd’hui. Est-il encore là ? Où serait-il ailleurs ? Mystère.
15 h 15. Le voisin de l’étage me propose de faire une petite boule en papier d’aluminium au bout d’un fil, pour tenter d’attirer l’attention du chat par le trou. Je cherche un petit miroir pour faire un genre de périscope afin de pouvoir voir ce qui se passe dans le comble, mais je n’en trouve pas d’assez petit.
L’énigme de l’apparition d’un minou sur le toit reste entière.
16 h 14.
Heu, non. Je n’ai pas de chat, j’ai un problème de chat. C’est différent.
16 h 39. Ah, il y avait longtemps que je n’étais pas monté… Le ramequin à croquettes n’a pas été touché, mais les quelques croquettes jetées au fond du trou ont disparu. Donc, à moins d’avoir des souris dans le toit, je peux m’avancer à dire que le chat est encore là et en vie. Mais il n’est pas sorti.
Je suis resté assis à côté du trou pendant 10 minutes, mais rien, pas un signe, pas un bruit.
17 h 35. Suite à une bonne idée donnée en commentaire de ce billet, j’ai essayé d’introduire dans le trou une mini-caméra HD. Hélas, les batteries de ma FlipCam étaient à plat et elle n’a donc rien enregistré ou presque. J’ai mis la caméra à recharger, en espérant que la batterie soit encore bonne (il y a un bout de temps que je ne l’avais pas utilisée).
18 h 18. J’ai passé un quart d’heure à veiller sur le toit. J’ai changé l’eau. Rien à signaler.
19 h 03. Si j’en crois le ramequin de croquettes, le chat n’est toujours pas sorti de sa cache aujourd’hui. Je profite de ces inhabituelles, mais désormais fréquentes, visites sur le toit pour admirer le ciel.
19 h 51. Le soleil se couche sur les toits de Montréal. Mais toujours pas de chat. Je ne l’ai pas vu aujourd’hui.
[Couchant à 19 h 51.]
[Couchant à 19 h 57.]
21 h 25. Dans le noir, le chat est là, sorti de sa cache inexpugnable, en train de manger tranquillement les croquettes. Je le distingue de loin à la faible clarté de la lune. Je ne sors pas du trou d’homme de peur de l’effrayer et d’interrompre son repas. Je reviendrai plus tard.
22 h 51. Le chat n’est plus là. Il a mangé la moitié des croquettes et bu un peu d’eau. Sur une idée de Martine, j’ai monté un ramequin de yaourt, que je laisse à côté de l’évent d’aération. Il est temps pour les animaux diurnes d’aller au lit.
9 h 15. Je monte voir si le chat a touché au lait. Je ne vois pas de chat sur les toits, mais l’assiette est vide, soigneusement léchée. Il est donc probablement encore en vie, terré dans la charpente.
Je descends chercher du lait frais, et rencontre sur la galerie le voisin de l’étage. Je lui raconte les aventures de la veille. Il me propose de mettre le feu au toit pour se débarrasser du chat. Je lui réponds que c’est une solution, mais que je ne pense pas que ce soit la meilleure.
9 h 27. Je remplis l’assiette vide de lait frais.
11 h 07. Je vais sur le toit. Je sors lentement la tête de la trappe et j’aperçois le chat sur le toit de “Voisin 3”. Le chat me voit aussi et va doucement se tapir derrière un muret qui doit faire 20 cm de haut. Je ris intérieurement, car ses petites oreilles dépassent. “Mauvaise cachette ! Si tu crois que je ne t’ai pas vu…” Je commence à procéder au rétablissement qui permet de me hisser sur le toit… j’ai une dizaine de mètres à courir pour atteindre la bouche d’aération et bloquer son accès, le chat en a au moins le double à parcourir et deux murets à sauter. Qui gagne à ce jeu-là ?
Le chat.
Je n’ai pas fait trois pas que je vois la queue du chat disparaître dans le trou.
12 h 05. Le chat est invisible. Il n’a pas touché au lait qui commence à s’évaporer au soleil. Je jette le lait chaud dans le trou d’évacuation des eaux pluviales. Je remonte peu après avec un grand bol d’eau que je place à l’ombre de la cheminée.
13 h 54. Pas de chat sur le toit. Il fait soleil et le toit chauffe beaucoup. J’imagine qu’il doit faire bien chaud dans la charpente sous le goudron, mais aucune odeur de chat cuit ne sort du trou d’aération.
16 h 30. Aucune trace de chat sur les toits brûlants. Je déplace le bol d’eau, car l’ombre a tourné.
18 h 13. Je vais récupérer sur le toit le col de cygne en tôle pour le réparer. Pas de chat en vue. Il ne semble pas avoir touché à l’eau. Je trouve un morceau de cornière en alu qui fera l’affaire pour bloquer l’accès dans l’aérateur. Reste à parvenir à remettre le machin en place pendant que le chat n’est pas dans la charpente, ce qui semble mission quasi impossible tant il est vif et craintif.
Je demande des idées sur Twitter pour amadouer un minou sur un toit. On me propose “slingshot”, “paintball”, “karcher”. Les gens…
On m’encourage aussi : “Toi, ça m’étonnerait que tu y arrives, il doit sentir des effluves anti-chat”… La proposition la plus sensée est d’utiliser de la bouffe. Mais je n’ai rien qui me paraisse “chat-compatible” dans mon réfrigérateur et il n’y a plus de lait.
Je ne vais quand même pas aller acheter de la bouffe pour chat ! Je n’ai jamais fait ça de toute ma vie ! Ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer.
18 h 52. Au supermarché, rayon nourriture pour animaux.
J’hallucine… je ne savais pas qu’il y avait un tel choix de bouffe pour chat ! Je ne sais pas quoi prendre, si ce n’est d’écarter les “Pour chats d’intérieur”, le genre “Miaou-mix-mou de luxe au bœuf bio de Kobé et saumon sauvage de l’Atlantique, aromatisé au caviar de la Caspienne” en promo à $100 le kilo ou la “Formule spéciale aux oligoéléments et vitamines pour chat blanc à longs poils blancs et yeux verts, âgé de plus de 8 mois”.
Il y a plus de choix de bouffe à chats que de choix de tablettes de chocolat dans ce supermarché…
18 h 59. Je me décide pour les croquettes Friskies “Mélange du Chef”.
19 h 01. Je suis à la caisse, avec une bouteille d’eau gazeuse et un sac de croquettes pour chat sur le tapis. Un frémissement d’horreur me parcourt à l’idée qu’une connaissance pourrait me voir dans cette situation. Comment lui expliquer ? Et si c’était quelqu’un de mal intentionné qui ferait une photo et la publierait sur Facebook avec la légende “Oh oh, regardez qui achète de la bouffe pour chats ! Démasqué !”… La honte, ma réputation de président d’honneur du Comité Contre les Chats sur Internet ruinée à jamais.
19 h 35. Je monte un ramequin de croquettes “Mélange du Chef” sur le toit. Toujours pas de chat en vue. Je redescends pour le souper.
20 h 17. La nuit arrive. Les croquettes sont toujours là, intouchées. Le chat est-il encore là ? Mort, disparu, tombé du toit ? Je jette quelques croquettes dans le trou. J’attends. Au bout d’une minute, une patte apparaît 40 cm plus bas, attrape une croquette, et disparaît. Petit soulagement, il est encore là, en vie.
Puis vingt secondes après, c’est une petite tête qui surgit, se tourne et me regarde de ses yeux verts du fond de son trou. Un bref instant d’échange visuel. Et pof, plus de chat, disparu à nouveau. J’attends quelques minutes, en vain. Bonne nuit, minou.
18 h 42. Je reviens des courses. Comme à mon habitude, je rentre par la ruelle qui me permet d’accéder directement à la cuisine en traversant le jardin. Je trouve plus agréable cet itinéraire, surtout en été, en comparaison à la rue et sa circulation omniprésente.
J’aime ces “coulisses de la ville” que sont le réseau de ruelles de Montréal, sa vie généreuse, ses façades sans afféteries, sa végétation parfois folle et ses impudiques cordes à linge.
J’ouvre la porte de la clôture et j’entends des cris. Je lève les yeux, une femme semble m’interpeller d’une terrasse en haut du petit immeuble à condos situé à trois maisons de la nôtre. Elle crie en ma direction, en agitant les bras, “There is a cat on the roofs!”, pointant de la main les toits plats en contrebas de son immeuble. “Do you have access?”.
Pour mieux éclairer mon lecteur dans la suite des événements, j’ai réalisé un petit plan :
Le lecteur européen doit aussi comprendre que les toits des maisons sont ici souvent plats. Ils sont constitués d’une toile goudronnée couverte de gravier gris. Et comme les maisons mitoyennes sont généralement de même hauteur, ces toits ne sont séparés que par les sommets des murs mitoyens, qui ne dépassent que de dix à vingt centimètres. Le haut des maçonneries (murs et façades) est protégé des infiltrations par de la tôle.
Un chat sur les toits ? Comment est-il arrivé là ? Je réponds par un vague “I will see to it”, je traverse le jardin, entre dans la cuisine et dépose mes achats sur le comptoir. Comme si j’avais le temps de monter sur le toit… Je regrette déjà d’avoir prêté attention aux cris de la dame. Mon mari, effoiré sur le canapé, lève ses yeux du iPad sur lequel il jouait, encore, à Kingdom Rush. Je lui dis : “Nous voilà bien, il paraît que nous avons un chat sur le toit”.
Je commence à vider mon sac, œufs, salade… mais la curiosité envahit mon esprit. Je sors, emprunte l’escalier de fer en colimaçon qui mène à la galerie de l’étage, ouvre la porte qui donne accès au réduit où se trouve une échelle qui permet d’atteindre le trou d’homme donnant accès au toit. Bravant les toiles d’araignées, je grimpe les barreaux, m’agrippe au rebord du mur mitoyen et un petit rétablissement me permet de me retrouver sur le toit.
[Accès au toit.]
Je vois la femme qui est cette fois-ci sur le balcon côté rue, accompagnée d’une petite fille, elle pointe un angle du toit de “Voisin 3”, où se trouve une petite forme noire qui pourrait être effectivement un petit chat, une bestiole qui me tournerait le dos et regarderait vers la rue. Ma Doué benniguet ! Que fait-il là ? Il n’y a aucun moyen pour un jeune chat de se retrouver là, à moins d’être tombé du ciel. Ces toits sont normalement le royaume exclusif des oiseaux, des installateurs d’antennes paraboliques et des écureuils assez adroits pour y parvenir.
Je passe sur le toit de “Voisin 1” en direction du chat. Je me baisse précautionneusement pour passer sous les câbles de ses arrivées électriques qui sont un peu bas. La femme m’explique que ça fait trois jours qu’elle a découvert ce chat sur les toits. “Not my cat!” précise-t-elle. Je me redresse après avoir passé les lignes électriques et je m’apprête à passer sur le toit de “Voisin 2” quand le chat, qui m’a sûrement entendu malgré le bruit de la rue, se retourne, me regarde, et après deux secondes de réflexion, se met à filer comme une flèche en longeant le bord des façades, tout droit en direction de mon toit.
Je poursuis du regard sa fuite et je vois, à mon grand désespoir, le chat entrer et disparaître dans un évent d’aération de notre toit. “Oh… non !…”.
“Non, non, non.”
Je n’ai rien pu faire, il allait bien trop vite et les câbles électriques entravaient mon action. Je me tourne vers la femme et l’enfant, fait un geste d’impuissance et retourne sur notre toit.
“Putain de bordel de merde de saloperie de chat à la con” fulminé-je intérieurement. Je tape sur l’aérateur en tôle, puis passe la main sur son ouverture pour comprendre que les tiges de métal qui protègent normalement de l’entrée d’animaux ne sont plus là, probablement bouffées par la rouille.
[Évent d’aération de comble de toit.]
Sur les toits plats, il y a toujours des prises d’air, fonctionnant par paires. Elles permettent de ventiler l’espace d’une vingtaine de centimètres qui est compris entre la charpente du toit et celle du plafond. Notre toit en comporte deux.
J’essaye de décoller le genre de gros col de cygne en tôle, mais il est bien fixé.
Il n’y a plus rien à faire, le chat est bien planqué dans notre charpente. Je descends, informe mon mari, toujours collé à sa tablette, des derniers événements. Il veut aller voir. Je prends quelques outils pour démonter la bouche d’aération et nous montons.
19 h 15. Alors que j’ai à peine sorti le buste du trou d’homme, je vois le jeune chat noir à côté de l’aérateur. Le chat me voit, lui aussi, et rentre immédiatement dans sa cachette.
“Tabarnak!”
Ça ne va pas être simple de le prendre par surprise… Il faut faire un rétablissement pour atteindre le toit, manœuvre athlétique qui prend quelques secondes et qui, accessoirement, fait craquer de façon très sonore la tôle en bordure du toit, puis il y a environ 15 mètres en terrain totalement dégagé avant d’atteindre l’aérateur. Empêcher le chat terrorisé d’aller s’y planquer semble impossible.
J’enlève avec une pince les deux gros vieux clous qui maintiennent le manche à air. L’aérateur en tôle retiré révèle un genre de petite cheminée en bois, conduit par lequel on peut voir la charpente du plafond de l’étage, une quarantaine de centimètres plus bas. Un vent chaud en provenance du trou, des entrailles de la maison, caresse mon visage de ses effluves de poussière, de bois et de goudron. Cela me rappelle l’odeur des cales de vieux voiliers, notamment celle emplie de brai de l’atelier du bosco.
“Minou, minou. Viens mon minou.”
Rien.
Puis, au cas où le chat serait anglophone :
“Kitty, kitty. Come, kitty, come on.”
Rien.
“Crisse d’ostie de maudit chat de marde ! Vas-tu sortir mon petit simonaque de yable noir ? Ciboire !”
Rien.
Force est de constater qu’avoir enlevé la pièce de tôle ne fait pas avancer la résolution du problème. Le chat est peut-être très loin dans le toit, en tout cas assurément inaccessible. Nous devons nous résoudre à abandonner le terrain, d’autant plus que la faim commence à nous tenailler.
20 h 20. Retour sur le toit, il fait déjà nuit. Pas trace du chat dans la pénombre. Mon mari suggère de laisser un bol de lait. Je vais en chercher, du bon, du frais, du bio, de l’entier.
Nous quittons le toit, après avoir rempli de lait une assiette creuse placée non loin de l’aérateur. Je pense “Ce serait vraiment trop con que ce crisse de chat crève dans notre toit. La nuit porte conseil, dit-on. Peut-être aurons-nous une solution demain…”.